Dans l’ombre des réseaux sociaux et plateformes de messagerie, un fléau silencieux se répand à une vitesse alarmante : la sextorsion. Cette forme de chantage en ligne où la victime est contrainte de payer ou de céder aux demandes du maître chanteur, sous menaces de la divulgation de ses photos et ou vidéos intimes, cible de plus en plus de jeunes filles. Reportage.
Chantal est une étudiante à l’Université de Kara. La jeune fille de 19 ans fait connaissance, sur Facebook, d’un jeune homme qui, en premier, lui a envoyé un message. Les faits remontent à Janvier 2024. Tombée sous le charme du message qui dit-elle était très séduisant, Chantal répond sans doute à son interlocuteur dont le compte a pour nom « Freddy USA ». Par la suite, les deux jeunes s’échangent régulièrement des messages. Une fois la confiance établie, ils entament une relation amoureuse virtuelle. Après environ un mois de relation, Freddy USA demande à Chantal de lui envoyer des nudes. Sans hésiter, la jeune fille lui envoie deux photos d’elle entièrement nue. Depuis lors, c’est devenu une habitude. Chantal envoie régulièrement des photos compromettantes à Freddy, à chaque fois qu’il les lui demande. Un beau matin, alors qu’elle s’apprêtait à aller en cours, elle reçoit un message choc : « envoie moi 300 000 FCFA, sinon je publie tes photos nues ». Faisant face au refus de Chantal qui tombe des nues, Freddy met son plan à exécution. Il publie 5 photos de sa proie sur les réseaux sociaux.
« Je me réveille un matin et je vois que plusieurs connaissances m’ont appelée en vain. Je consulte WhatsApp et je tombe sur certains messages me demandant d’aller sur Facebook. Certaines personnes m’ont carrément envoyé des captures d’écran de mes photos intimes. Mon monde s’est arrêté. J’ai eu des idées noires », nous relate la jeune fille.
Le cas de Chantal est un exemple parmi tant d’autres. Sylvie, une autre étudiante qui a également été piégée par un faux profil sur Instagram, nous raconte : « Au début, tout semblait normal, jusqu’à ce qu’on commence à discuter plus sérieusement. On s’appelait en mode vidéo et il me demandait souvent de ne rien porter, et rapidement, il m’a menacée de publier mes images qu’il capturait, si je ne lui donnais pas une importante somme. J’étais paralysée par la honte et la peur, mais j’ai pu contacter un grand frère Gendarme qui m’a aidé à sortir de cette mauvaise passe. »
Si pour les cas de Chantal et Sylvie, le maître chanteur est un inconnu, en ce qui concerne Joséphine, une autre victime, son bourreau est un ex-compagnon parti à l’étranger à qui elle envoie régulièrement des photos nues. En effet, la jeune fille voulait mettre fin à leur relation, ce à quoi le monsieur n’a pas adhéré. Pour venger, il a mis les photos de Josephine sur le méta.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, plusieurs personnes sont victimes de ce type de chantage sexuel. La pratique a un nom : la « sextorsion ». Sextorsion est un amalgame des mots anglais « sex » et « extorsion ». Le terme pourrait se traduire par « extorsion sexuelle ». Il indique de quoi il s’agit : quelqu’un tente de vous faire chanter en menaçant de diffuser des images intimes (photos ou vidéos) qui pourraient nuire à votre réputation.
Un mode opératoire vicieux
Généralement, les sextorqueurs communiquent avec les victimes par le biais de faux profils sur les réseaux sociaux sous couvert de bonnes intentions. L’escroc crée un profil et s’invente une identité pour ne pas être identifié et arrêté après ses basses besognes. Puis il choisit une cible, le plus souvent une jeune fille, avec qui il entame une relation numérique par message, jusqu’au moment où il l’incite à envoyer des photos ou des vidéos intimes. Et c’est là que la descente aux enfers commence pour les victimes. Car ces escrocs derrière les faux comptes vont ensuite faire du chantage à leurs proies. Ils leur demandent de l’argent pour ne pas dévoiler publiquement leurs nudes. Par peur, les victimes s’exécutent souvent. Ces dernières se sentent obligées de céder aux demandes des agresseurs, que ce soit en envoyant plus de contenus intimes ou en payant de l’argent, pour éviter la diffusion des images initiales. Le sentiment de honte de la victime est garanti. L’humiliation subie est d’autant plus importante que les informations divulguées sur le web, sont généralement partagées très rapidement, de manière virale. Il devient alors très difficile d’effacer toute trace d’une photo intime, même si la photo source est supprimée.
Par ailleurs, une autre technique utilisée consiste à convaincre la victime d’entamer un rapport sexuel à distance en vidéo mais en enregistrant uniquement les actes posés par la victime. Dans certains cas, les données de la victime sont carrément piratées par l’arnaqueur.
Le fléau prend une ampleur inquiétante. Sur le plan mondial, les chantages à la vidéo ou à la photo intime explosent sur les réseaux sociaux. Selon une étude publiée début 2024 par le Network Contagion Research Institute (NCRI), spécialisé dans les menaces liées aux réseaux sociaux, il s’agit du « crime à la croissance la plus rapide ciblant les mineurs aux États-Unis, au Canada et en Australie ».
En Afrique, selon l’Opération conjointe de lutte contre la cybercriminalité en Afrique (AFJOC), la sextorsion fait partie des principales cyber menaces. En Juin 2022, la structure a mené une campagne dénommée #ÇaNArrivePasQuAuxAutres qui ciblait les menaces d’extorsion numérique comme les rançongiciels, la sextorsion et les attaques par déni de service distribué (DDoS).
Au Togo, la situation n’est pas non plus reluisante. « Les femmes sont souvent victimes de sextorsion et nous recevons de plus en plus de plaintes de jeunes filles togolaises victimes de cette pratique qui consiste à menacer de publier des photos intimes d’une personne », informe le commandant Gbota GWALIBA, Directeur Général de l’Agence Nationale de Cybersécurité (ANCy) qui ajoute que parfois, c’est un partenaire qui fait ces menaces, après une dispute ou une séparation moyennant de l’argent ou autre chose.
Des Ongs comme, entres autres, le Groupe de réflexion et d’action, Femme, Démocratie et Développement (GF2D) enregistrent aussi souvent des plaintes relatives à des publications des photos ou des vidéos à caractère intime sans le consentement d’une des parties.
Statistiquement, peu de cas d’actes similaires sont signalés à la Police. Les rares personnes qui prennent leur courage sont souvent assistées par une Ong où une tierce personne. D’après la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), c’est rare que la victime, elle-même prenne l’initiative.
La pratique a des effets dévastateurs
Malheureusement, les témoignages des filles qui en sont victimes révèlent l’impact dévastateur de ce type de chantage. Ce qui ressort des témoignages des victimes interrogées sont notamment le sentiment de honte et de culpabilité. Ce qui empêche souvent certaines personnes de parler de la situation à leur famille ou proches. Elles se sentent coupables d’avoir fait confiance à la mauvaise personne ou d’avoir partagé des images intimes. « Je ne pouvais pas croire que cela m’arrivait. J’avais honte et je ne savais pas à qui en parler. J’avais peur d’être jugée « , indique Chantal, la jeune étudiante, qui s’est finalement confiée à une ONG qui l’a fortement soutenue et aidée.
Il faut aussi souligner que certaines victimes vivent dans un état constant de stress, craignant chaque jour une nouvelle menace ou la publication de leur intimité. D’autres parlent de la perte de confiance non seulement en elles-mêmes mais aussi vis-à-vis des autres. Elles se sentent trahies, surtout lorsqu’elles ont été manipulées par quelqu’un en qui elles avaient confiance, ce qui rend la reprise de relations saines plus difficile.
Même après que la situation soit résolue ou que l’agresseur ait cessé de faire des menaces, les filles victimes de sextorsion parlent souvent des effets à long terme, notamment la dépression, des pensées suicidaires ou des difficultés à reprendre une vie normale.
La loi togolaise punit sévèrement ces actes
La législation togolaise réprime sévèrement les cas de chantage sexuel, de violation de l’intimité, et de cyber harcèlement. Le fait de « publier, diffuser des papiers ou enregistrements privés, un dessin, une photographie ou tout autre support reproduisant l’image » d’une personne sans son accord est une infraction qui est punie sur le plan pénal. (Art 368 Code Pénal du TOGO). Le coupable encourt une peine d’emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende allant de 2 000 000 à 10 000 000 de Francs CFA ou de l’une de ces deux peines.
La peine est encore lourde si la victime a moins de 18 ans. Ceci est bien traité par l’Article 11 de la loi sur la cyber sécurité et la protection contre la cybercriminalité. Selon ledit article : « est punie d’une peine de 5 à 10 ans de réclusion criminelle et d’une amende de dix millions (10 000 000 ) à vingt-cinq millions (25 000 000) de Francs CFA ou de l’une de ces deux (2) peines , toute personne qui produit ou enregistre , offre, met à disposition, diffuse, transmet une image ou une représentation présentant un caractère de pornographie, mettant en scène un ou plusieurs enfants âgés de moins de quinze (15) ans par le biais de système informatique ou par tout autre procédé technique quelconque. »
Conseils pour se prémunir de la sextorsion et les réflexes à avoir lorsqu’on est victime
Le Directeur de l’Agence Nationale de Cybersécurité, le commandant Gbota GWALIBA demande aux jeunes filles de faire très attention lorsqu’elles sont sur les réseaux sociaux « Nous demandons à nos jeunes filles de faire une utilisation responsable des réseaux sociaux car les femmes victimes des violences sur internet peuvent subir des chocs psychologiques. Les conséquences de ces actes sont dévastatrices et il est impérieux de se protéger et de protéger ses informations personnelles » a-t-il souligné, avant de donner des conseils utiles à tout utilisateur d’internet. Il recommande d’avoir des mots de passe robustes de plusieurs chiffres, des lettres et des caractères spéciaux. Utilisez aussi les authentificateurs à double facteur sur Whatsapp et sur Facebook vous permettant d’être les seuls à avoir accès à vos comptes. « Il faut penser à changer régulièrement les mots de passe ». Il est également important de mettre régulièrement à jour les logiciels et d’éviter d’utiliser les offices craqués qui ne bénéficient pas des mises à jour et des corrections des éditeurs. L’installation des antivirus est primordiale et pendant les voyages, il faut utiliser les VPN dans les gars, les aéroports et éviter d’accéder aux comptes bancaires et les données sensibles avec les wifi publics souvent objet d’attaque » conseille-t-il.
Par ailleurs, certaines plateformes en ligne indiquent des conduites à tenir, lorsqu’on est victime de la sextorsion. Selon ces plateformes, dès que le chantage est mentionné, il urge d’adopter les réflexes suivants :
Aussi, est-il recommandé aux victimes d’actes de sextorsion, de consulter un psychologue pour une prise en charge tôt et éviter une dépression.
Toutefois, la meilleure prévention de ces genres de situation est d’éviter de prendre et de partager des photos intimes avec une personne quelle que soit la relation qui vous lie pour éviter du jour au lendemain des surprises désagréables.
Ce grand reportage est réalisé avec le soutien du FONDS PANANETUGRI
Rachel DOUBIDJI