Les cas de viol sur mineures sont signalés régulièrement dans nos sociétés. Les conséquences de ces actes sont aussi désastreuses pour les victimes que leurs proches et famille. Ce reportage vous plonge dans le vécu des mères dont les filles sont victimes de viol, révélant une autre facette de ce fléau.
En décembre 2023, dame Adjo, mère d’une fille de 16 ans en situation de handicap est allée se plaindre au centre KEKELI à Lomé. Un lieu de prise en charge des enfants victimes de viols et d’agressions sexuelles. En effet, selon les témoignages recueillis sur place, des voisins véreux profitent des heures de travail de la dame pour abuser sexuellement de son enfant. « Il y a un meunier du quartier, âgé de plus de 40 ans, qui venait violer la jeune fille. Après l’acte, il lui donne quelques pièces de monnaie. Ce dernier guète la maman dès qu’elle sort, il passe faire ses basses besognes jusqu’à ce que la fille soit tombée enceinte », informe-t-on. L’agresseur sera poursuivi et arrêté mais cela n’a pas dissuadé un autre homme, moins jeune que le premier qui a encore violé la même fille, 6 mois après l’accouchement issu du viol. Arrivée à nouveau au centre KEKELI, « la maman était complètement abasourdie. Elle n’arrivait plus à gérer ses émotions. »
Les cas de viol sur mineures sont légion. Parfois, c’est dans des familles recomposées que se passent ces actes. L’histoire d’Emilie, commerçante âgée de 55 ans et dont le mari abuse de sa fille aînée issue d’un premier mariage en est une illustration. Partie occasionnellement à l’intérieur du pays pour y séjourner trois jours dans le cadre de ses activités génératrices de revenus, son mari a eu par force, des actes sexuels avec sa fille de façon répétée. Quant à son retour, son enfant lui a raconté les faits, elle s’est écroulée : « Je ne savais pas quoi faire et à qui me confier. En tant que mère, c’était insupportable pour moi d’imaginer que ma fille ait subi de tels actes. Sachant que l’agresseur n’est autre que l’homme avec qui j’ai décidé de partager ma vie, me déchire encore plus. Même jusqu’aujourd’hui, je me réveille chaque jour, avec cette douleur qui ne me quitte jamais. Je cherche à trouver des réponses, mais je me sens impuissante », témoigne larmes aux yeux la dame qui finalement a quitté le mari vicieux.
Les auteurs des actes de viol, souvent n’habitent pas loin des victimes. Dans la plupart des cas, les agresseurs intimident et menacent les victimes de ne rien dire. Par conséquent, elles se taisent. Si souvent les violeurs sont des adultes, il faut tout de même relever que les adolescents sont aussi parfois auteurs de ces actes ignobles.
Au cours de l’année scolaire, le centre KEKELI a été également saisi de l’affaire d’une fille de 8 ans violée par un garçon âgé de 15 ans. Les deux élèves fréquentaient le même établissement. Le garçon était aux toilettes quand il a senti qu’une fille était passée dans la cabine voisine. Cette dernière sentant un besoin pressant n’a pas eu le temps de bien fermer la porte de sa latrine. Sorti précipitamment de sa cabine et constatant que la porte voisine n’est pas bien fermée, le garçon s’est déplacé pour y rentrer. La fille n’a pas encore fini d’uriner quand ce dernier l’a pris par les cheveux, l’a traînée par terre jusqu’à aller dans les toilettes des garçons et l’a violé. Une fois rentrée à la maison, la fille qui marchait difficilement, a raconté les faits à sa mère. La maman, étranglée par la situation, s’est immédiatement rendue au Commissariat de Police et a porté plainte à la brigade pour mineurs qui l’a orientée vers le centre KEKELI pour bénéficier d’un accompagnement. « Si je devais réagir immédiatement en allant dans cette école, j’allais commettre l’irréparable », a commenté la maman de la petite fille qui vit encore les séquelles de cette scène horrible.
Retenons que de 2019 à 2023, le centre KEKELI a enregistré 477 cas de violences et abus sexuels sur mineurs. Un chiffre qui serait peut-être plus élevé, si l’on n’encourageait la dénonciation de tels actes devant les autorités judiciaires. Puis que dans la plupart des cas, les parties optent pour des règlements à l’amiable, ce qui constitue une autre injustice.
Les assises ouvertes devant la Cour d’appel de Lomé le 05 juillet 2022 n’ont connu que 20 dossiers relatifs aux agressions sexuelles sur mineurs. Un chiffre largement en-deçà de la réalité. Selon des informations fournies par le Centre KEKELI, de 2006 à 2020, 987 cas de violences sexuelles ont été enregistrés rien qu’à Lomé et dans la région Maritime. « Dans le lot des victimes, 962 filles et 25 garçons, âgés de 20 mois à moins de 18 ans ».
Selon ledit centre, les parents accompagnateurs ou les plus touchés directement par des cas de viol sur les enfants, sont les mères précisément, « sur 10 cas, 7 sont des mères ».
Un acte aux conséquences désastreuses pour les mères et leurs filles
Les violences sexuelles ont des impacts négatifs sur les victimes ainsi que sur leurs parents. Selon André Ayivi, psychologue clinicien au centre KEKELI, en cas de violences sexuelles sur mineures, les mamans sont généralement les parents les plus impactés. Elles se culpabilisent même si ce n’est pas de leur faute. « Elles pensent à tous les sacrifices faits. Elles ne savent pas à quel moment elles ont failli à leur devoir. Elles se culpabilisent et cherchent continuellement à comprendre le pourquoi mais n’y arrivent jamais. Et parfois, elles en veulent à tort à la fille. Pour les mamans, c’est comme si elles ont raté une grande partie de leur devoir », révèle le psychologue.
En effet, le viol est une épreuve traumatisante pour les victimes. « C’est une mort psychologique. Quand on porte atteinte à la dignité d’une petite fille et qu’on ne la répare pas, ça veut dire qu’elle est détruite à vie. C’est tout son potentiel qui est agressé. Elle sera bloquée », fait savoir Mme Héloïse Adandogou d’Almeida, sage-femme.
C’est encore plus grave si la fille n’est pas encore active sexuellement. « Là, c’est une catastrophe », affirme le Professeur Sopho Boukari, gynécologue à la retraite. « Il peut avoir des déchirures aussi bien pendant la pénétration qu’avant puisque la victime ne se laisse pas faire et se bat dans la plupart des cas. D’autres traumatismes sont possibles et la jeune fille violée peut être sujette à des infections directes ou qui vont se prolonger. Le rapport peut être, par ailleurs, fécondable et aboutir à une grossesse non désirée », a souligné le médecin.
Entre autres manifestations constatées chez les victimes de viol et leurs familles en particulier les mères, on peut citer : la culpabilité, la colère, la sensation d’étouffement, l’hyper vigilance, la peur, l’insécurité, des troubles de sommeil. « Certains parents se disent même qu’ils sont des mauvais parents. Les mamans n’ont plus le courage d’habiter le même quartier puisque disent-elles : cela peut se reproduire à tout moment. Si par mégarde quelque chose tombe où il y a un bruit, elles sursautent », a détaillé André Ayivi, psychologue clinicien qui ajoute des cas de rejet de l’enfant. « C’est des sentiments de honte qui peuvent aller jusqu’à la dépression. Dès fois mêmes, on rejette l’enfant. »
Les victimes souffrent également de l’insomnie et deviennent parfois très irritables. « A la moindre chose, la personne s’énerve. Souvent c’est ce qu’on rencontre chez les parents également », a indiqué le psychologue.
Par ailleurs, les activités des mères sont aussi impactées. « N’étant plus concentrées, elles n’arrivent plus à faire bien fonctionner leur commerce comme il se doit et se rattrapent finalement par des dettes. D’autres pathologies peuvent se greffer sur ce traumatisme déclenché par l’abus de son enfant », informe-ton.
De fait, il est conseillé pour les victimes ainsi que les témoins ou les proches, à part la prise en charge médicale, une prise en charge psychologique diligente pour réduire la souffrance psychique chez elles et éviter ainsi le stress post-traumatique.
La loi sévit
Au Togo, des mesures légales sont prises pour punir sévèrement les actes de violences sexuelles sur les mineures. Le code de l’enfant voté en 2007 prévoit des dispositions contre les violences à caractères sexuels sur les mineures. Selon l’article 396 du Code, « constitue un abus sexuel sur un enfant le fait, par toute personne en situation d’autorité ou de confiance ou par toute personne à l’égard de qui l’enfant est en situation de dépendance, de soumettre celui-ci à des contacts sexuels. L’abus sexuel commis sur un enfant est puni d’un (01) à cinq (05) ans d’emprisonnement ». Selon l’article 398, le viol consiste à imposer par fraude ou violence des relations sexuelles à autrui contre son gré. Le viol commis sur un enfant sera passible d’une peine de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle. Lorsque le viol est commis sur un enfant de moins de quinze (15) ans la peine est portée au double.
Par ailleurs, on peut aussi citer la loi N°2022-020 portant protection des apprenants contre les violences à caractère sexuel, votée le 29 novembre 2022. Avec le nouveau cadre juridique, « tout auteur d’acte à caractère sexuel sur un apprenant tombe sous le coup de la loi. Pour une grossesse, l’auteur encourt une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et une amende allant de 1 à 5 millions FCFA si l’apprenant à 16 ans. Le double de la peine lui sera infligé si la victime a moins de 16 ans ».
Somme toute, les violences sexuelles sur les mineures entraînent une double peine à la fois pour les victimes directes et leurs parents notamment les mamans. Compte tenu de la gravité de l’acte et des conséquences douloureuses qui l’accompagnent, il est conseillé de renoncer aux règlements à l’amiable et dénoncer les auteurs de ces drames. Cela peut se faire dans l’anonymat en composant le « 1011 » qui est une ligne verte. Le passage devant un juge permet de défendre le droit des enfants, de faire bénéficier d’une prise en charge médicale et d’un suivi psychologique. Par ailleurs, cela permet d’intimider les auteurs de cet acte ignoble qui vivent dans la majorité des cas dans le cercle environnant de la victime.
Selon Mme Assera Okpar, substitut du procureur de la République près le tribunal de Lomé, il est très important de porter plainte pour à la fois rendre justice à la victime en question, mais également à tous les enfants. « Ceci, pour décourager tout potentiel candidat à ces genres de crimes », a-t-elle signifié à la fin d’un procès ayant conduit à condamner, en juillet 2022, à 10 ans de réclusion criminelle, un enseignant volontaire accusé de crime de pédophilie sur une élève de 14 ans.
Pour prévenir des violences pareilles, les parents sont aussi invités à être ouverts et empathiques avec leurs enfants pour être au courant des fréquentations et du quotidien des enfants pour savoir adapter leur communication et partager des stratégies appropriées avec elles pour que ces dernières ne tombent pas dans les pièges des agresseurs qui tendent souvent des appâts à leurs victimes innocentes. Inculquer la notion de masculinité positive aux jeunes garçons et aux adultes serait aussi un atout.
Ce grand reportage est réalisé avec le soutien du FONDS PANANETUGRI
Atha ASSAN