Au chevet d’un malade ou au plateau de la télé, Dorcas, 22 ans, n’y trouve aucunement un labyrinthe. Pour l’étudiante en 6ème année de médecine, soigner, informer et sensibiliser reviennent à un seul et même combat : celui de contribuer à créer un monde meilleur. Dorcas ESSILIVI se forge une destinée de leader prête à « foncer » où ses engagements contre les inégalités sociales et pour le bien-être l’interpellent. Pour l’activiste et animatrice télé, la conciliation entre les études et différentes responsabilités qui l’incombent, est naturelle . Lisez plutôt.
Qui est Dorcas ESSILIVI?
Dorcas ESSILIVI est une jeune femme togolaise née le 19 janvier 2001, Doctorante en Médecine à la Faculté des Sciences de la Santé de l’Université de Lomé. Je suis passionnée par tout ce qui touche la justice sociale, le respect, la promotion et la protection de tout être humain ainsi que tout ce qui relève de la promotion de la santé publique plus précisément la santé sexuelle de la reproduction. L’envie de sensibiliser et d’apporter la bonne information m’a poussée à m’engager dans la vie associative et à animer une émission sur la chaîne Docteur TV où je reçois les jeunes avec qui je parle et je discute afin qu’ensemble nous puissions apprendre et grandir.
Parlez-nous de votre parcours universitaire
Après mon bac scientifique à l’école Alpha en 2017, je suis rentrée à l’université en Faculté des Sciences de la Santé. Actuellement, je suis en sixième année où je prépare mon doctorat. Je suis également étudiante au programme d’excellence pour les femmes en Afrique. Je fais partie de la première cohorte parrainée par Madame la Première ministre, Victoire Tomegah-Dogbé.
Sacrée jeune femme leader ‘’Nyonufia’’ en 2020, parlez-nous un peu de cette expérience
Lorsque j’ai postulé au concours « Nyonufia » qui permet à la jeune femme togolaise de s’essayer, de mettre ses compétences et son talent au profit du développement du pays, je ne pensais sincèrement pas être retenue vue qu’au cours des formations, j’ai rencontré des jeunes femmes beaucoup plus âgées que moi avec plus d’expériences en matière de mobilisation des ressources et de leadership. Mais je m’étais appliquée, je venais pour apprendre et j’étais bien assidue. Peut-être bien que c’est cette disponibilité à apprendre qui a joué en ma faveur. En termes d’expériences, ce concours m’a permis de voyager, de connaitre l’intérieur du pays et de faire face à des réalités. Si je suis plus qu’engagée pour des filles et des femmes, c’est parce que j’ai fait Dapaong, j’ai fait Kara, Gerin kouka, sokodé, Atakpamé, Tsévié, adéticopé, des ruelles de Lomé qui m’ont permis d’écouter mes sœurs, mes paires et de me rendre compte qu’elles n’ont pas les bonnes informations. La plupart d’elles, quand on leur demande leur rêve, elles vont te dire que c’est épouser un homme riche, un homme qui pourra prendre soin d’elles. C’est selon elles la définition du succès.
Un phénomène particulièrement m’a marqué dans un village dont j’oublie le nom, c’est celui du troc des filles. Les filles sont échangées contre un terrain ou des pagnes. Des filles sont devenues des monnaies d’échange et quand on discute avec elles, cela semble ne pas les déranger, c’est tout comme c’est leur destin et elles s’y attendent. Celles qui refusent au risque de fuir la maison, en les écoutant, on sent que ce sont des filles qui peuvent exceller si on leur offrait des opportunités. J’ai eu à discuter avec elles et je les ai formées en leadership, en autonomisation et en confiance en soi.
L’autre expérience, c’est le projet de formation de quarante associations de jeunes de la région maritime en entreprenariat coopératif et en engagement communautaire, projet accompagné par le Ministère de la jeunesse, FAIEJ, la CNJ. Le projet était de doter ces associations de jeunes de capacités à s’engager dans le développement communautaire.
Vous avez un parcours universitaire intéressant et vous êtes fortement engagée sur les questions des droits de l’Homme et en particulier de la jeune fille. Dites-nous ce qui vous motive à mener cette lutte et comment vous arrivez à concilier cet engagement et les études ?
Je pense que l’environnement a joué un grand rôle. Je me rappelle, nous avions aménagé dans une maison où ne manquaient point les scènes de ménage avec des femmes qui se faisaient bastonner par leurs maris et certains hommes qui l’étaient également par leurs femmes. Le propriétaire était un handicapé mental et je voyais comment il était traité. J’ai eu la chance d’avoir une éducation chrétienne et j’y voyais des « péchés ».Mais bien après, je me suis rendu compte que ces personnes subissaient des inégalités.
En 2019, j’ai eu à participer à l’initiative « Filles aux commandes » de Plan Togo et après notre formation, on devrait prendre des postes de direction pour un temps. Alors j’ai été envoyée dans une institution où personne ne voulait, sous prétexte qu’on est femme. Quand on m’a laissée la direction de cette structure, bien que consciente qu’il s’agissait d’un jeu, il y a eu un vrai déclic dans ma tête. Dans mon domaine de médecine, je voyais très peu de femmes en chirurgie et j’en déduisais que c’est parce que les femmes étaient réticentes à le faire mais de par cette expérience j’ai compris qu’au fait si les femmes n’accédaient pas à certains postes, c’est due à des inégalités. Alors, je me suis dit qu’il fallait que je m’engage et pas seulement pour les femmes mais contre toute forme d’injustice sociale.
En ce qui concerne la conciliation de mon engagement avec mes études, ce sont des domaines qui sont liés au fait. A l’hôpital, on écoute et on reçoit beaucoup de cas de femmes battues par leurs maris qui se confient à vous mais vous ne pouvez rien à cause du secret professionnel, des enfants qui refusent de rentrer après les soins à cause de la violence domestique. On assiste à des horreurs parfois. Cette assistance que je ne peux apporter en tant que médecin, je peux contribuer à l’éradiquer par la prévention des cas de violence à travers mon engagement. Et souvent connaissant mon engagement, quand se présentent des cas assez délicats, je suis sollicitée pour discuter et parler avec des victimes. Je ne sens pas mon engagement comme un poids, la conciliation est naturelle. Oui les études en médecine particulièrement au Togo sont assez exigeantes mais je n’hésite pas à faire des sacrifices quand il le faut, Dieu merci, j’ai des parents compréhensifs qui n’hésitent pas à me soutenir par leurs prières.
Dorcas est aussi animatrice télé. Comment cette passion est-elle née en vous ?
Ma passion pour la télé je la dois à une grande sœur, l’animatrice de podium jeunesse, Mme Pélagie. A la fin d’une de ces émissions à laquelle j’avais participé, elle m’avait approché pour me dire Dorcas, tu as les capacités d’animation, tu as une présence scénique et elle me conseillait de rejoindre l’équipe des journalistes de la chaîne SOS Docteur TV qui venait d’être créée. J’avais accepté sur le coup mais une fois rentrée, j’ai ignoré cela parce que vraiment je ne me trouvais pas des compétences d’animatrice. Mais plus tard, j’ai décidé d’envoyer une lettre à la chaîne pour leur dire que j’étais en médecine et que j’étais intéressée par l’animation. On m’a fait venir pour me faire passer un casting le même soir et le responsable, Docteur KODOM à la suite me dit : « Dorcas, tu animes une émission ». C’est une personne que j’estime beaucoup car sans vraiment me connaître au préalable, elle m’a donné l’opportunité d’animer. La deuxième semaine, j’ai commencé par animer une émission. Le goût pour l’animation est réellement venue après avec les retours positifs des jeunes qui me disaient apprendre beaucoup sur la santé surtout sur la santé reproductive dans l’émission. Ce sont donc les résultats et les échos positifs qui ont semé en moi finalement une grande passion pour l’animation.
Vous avez en Octobre dernier, représenté le Togo au sommet de la jeune fille en France. Revenons brièvement sur ce voyage qui rentre dans le cadre de votre activisme
Chaque 11 Octobre est organisée la journée internationale de la jeune fille. Plan International France encore appelée FNO (French National Organisation), organise dans ce cadre une semaine internationale pour le droit des filles. Et à l’occasion, elle invite les jeunes d’autres pays pour venir parler de la situation des droits des filles dans leurs pays et partager leur expérience.
Après une rude sélection parmi les filles des organisations partenaires, j’ai été retenue avec une autre fille. Lorsque nos candidatures ont été envoyées à FNO, celle-ci m’a retenue. Je devrais donc parler au nom des jeunes du Togo, des avancées en termes des droits des filles, des réalisations des associations des jeunes, des perspectives, des défis et des recommandations. J’ai travaillé à cet effet avec les jeunes du Togo pour élaborer un document. J’ai eu à faire des médias tours en France, nous avons produit des vidéos de sensibilisation et participé à des activités grand public. Les revendications portaient essentiellement sur quatre axes : l’inceste, le harcèlement de rue, le mariage précoce et le harcèlement en ligne que nous avons adressée aux Maires devant la Mairie de Paris au cours d’une grande cérémonie. Après c’était l’évènement institutionnel avec la représentante du gouvernement français, la secrétaire d’Etat avec qui nous avons eu un long entretien. Nous lui avons présenté nos doléances et elle a promis une prise en compte de ces recommandations. A mon retour, le Togo a également organisé son évènement institutionnel au cours duquel j’ai présenté le résumé de mon voyage.
Vous êtes nouvellement introduite Point Focal 2030 au niveau du Togo pour l’UCPO. Parlez-nous de votre sélection, les missions qui vous sont assignées, ce que vous avez pensé faire au cours de votre mandat et les perspectives
Pour le point focal, nous avons eu à postuler en ligne. Avec mon CV et j’ai été retenue contre toute attente, il faut dire que je n’espérais vraiment pas être choisie. J’ai toute suite deviné que ce cadre me permettrait d’apprendre encore. La flexibilité du programme m’a permis, malgré mes heures d’étude chargées de passer l’interview à l’issue de laquelle j’ai été retenue. En tant que point focal, je deviens la représentante des jeunes du Togo, du coup j’ai la mission de centraliser toutes les associations de jeunes, tous les acteurs jeunes qui œuvrent pour la promotion de la santé sexuelle de la reproduction, l’utilisation des nouvelles méthodes contraceptives, travailler avec la coordination mise en place par ma prédécesseur, intégrer de nouveaux acteurs, pour ensemble appuyer le gouvernement togolais dans l’atteinte des objectifs dans le domaine.
Renforcer le pôle des acteurs, faire l’éducation parentale pour créer le cadre de discussion intergénérationnel sur les questions de la sexualité, mener des enquêtes auprès des jeunes sur les enjeux de l’utilisation des méthodes contraceptives, voilà en substance ce que je compte mener comme activités.
Vous cumulez plusieurs responsabilités malgré votre jeune âge. Qu’est ce qui explique votre dynamisme ?
Ce cumul est possible grâce à la flexibilité des programmes. D’abord à la télé, le promoteur comprend que je suis encore aux études et que j’ai besoin de temps pour apprendre, l’activité de point focal est un programme assez flexible ce qui a permis que je sois sélectionnée d’ailleurs. Sans cette flexibilité, je ne pourrais y arriver. Quant à mon dynamisme, j’aime être fière de moi, j’aime savoir que j’apporte un plus à ma société, que je peux faire quelque chose pour que quelqu’un quelque part soit heureux. Et si je lutte pour les filles, c’est parce que j’ai des cousines, des petites sœurs et je ne voudrais pas voir leurs droits bafouer, si je lutte pour les droits des enfants, c’est parce que je suis une femme et je peux mettre au monde des enfants qu’ils soient hommes ou femmes, porteurs d’un handicap ou pas. Ils ont le droit de vivre dans un monde de paix, de cohésion et d’amour et ce monde, c’est à moi de le créer aujourd’hui pour en bénéficier demain et éventuellement mes enfants également.
Si vous avez une baguette magique, que feriez-vous pour améliorer le quotidien des femmes ?
Mes actions seraient principalement de trois ordres et elles se déclineraient à court, à moyen et à long termes. À court terme, d’abord je changerais la mentalité des femmes et leur faire comprendre qu’elles sont capables de tout. Faire comprendre surtout à mes jeunes sœurs que, vivre en milieu rural ou urbain ne doit pas éteindre leurs rêves mais qu’elles doivent rêver tellement grand, qu’elles doivent avoir des objectifs énormes que cela puissent déranger leur sommeil. Elles doivent sincèrement oublier les gains faciles, cultiver la solidarité féminine, se former, s’outiller et se battre contre vents et marées pour se tailler une place dans cette société. Faire comprendre à nos grandes sœurs que nous les jeunes femmes, nous avons besoins de modèles, que nous avons vraiment besoin qu’elles partagent avec nous des opportunités, des conseils et qu’elles continuent la lutte que nos grands-mères à l’instar de Rosa Parks pour que les femmes puissent avoir par exemple le droit de vote.
À moyen terme, je m’intéresserai à la mentalité des hommes pour leur faire comprendre que le combat réel contre l’inégalité genre, ce n’est pas pour faire porter l’appareil masculin à la femme mais il est question de permettre à la femme de jouir de ses droits en tant qu’être humain. S’il s’oppose à la lutte pour que la femme s’émancipe et que la femme s’épanouisse, c’est que jusqu’à présent il continue par traiter la femme comme un esclave alors que l’esclavage a été aboli.
À long terme, d’abord, ce serait de permettre à cette nouvelle génération de parents de mieux éduquer leurs enfants, d’éduquer les garçons et les filles comme des mêmes personnes, faire inculquer cette notion d’équité de genre dans leur tête, faire comprendre aux enfants que la femme peut tout faire si on lui donne l’opportunité et des compétences.
Un message à l’endroit des jeunes filles qui vous lisent
Il faut que les filles décident de vivre pour elles et non pour ressembler à telle ou telle, en fonction de leurs objectifs de vie, qu’elles approchent les aînées pour d’utiles conseils. La bataille à engager c’est celle contre soi-même pour devenir meilleure. Rêver assez grand car il n’y a pas de rêve impossible à réaliser si on s’y met.
Propos Recueillis par ATHA ASSAN