Au Togo, de nombreuses veuves font face à la discrimination dans leur communauté. Ces femmes vulnérables subissent souvent des traitements inhumains et sont souvent dépouillées de leurs biens après le décès de leur mari. Reportage !
Visage ridé, raviné et émacié, Yawa, cinquantenaire est spoliée de tous ses biens et privée de logement. Son tort ? Elle a eu la malchance d’avoir perdu son mari dans un grave accident de route. Rejetée et traumatisée par sa belle-famille, Yawa ne sait plus à quel saint se vouer.
Le cas de Yawa, n’est pas isolé. A Danyi, dans la région des Plateaux au Togo, plusieurs veuves interviewées par notre rédaction, ont livré des témoignages bouleversants. Veuvage forcé, dépossession des biens, violences physiques et psychologiques, marginalisation, rejet, accusées à tort de sorcellerie, expulsées du domicile conjugal, mariées de force à un autre membre de la famille, impossibilité d’hériter(…) la liste des actes subis par les veuves est loin d’être exhaustive. Livrées à elles-mêmes, celles qui ont des orphelins à la charge ne sont pas du tout mieux loties.
La trentaine, résidant à Danyi Todomé, Tanti, veuve depuis sept ans avec trois enfants à charge, regrette à jamais la disparition de son mari. « Je suis une jeune femme et donc sexuellement active mais ce n’est pas cet aspect qui m’importe. Néanmoins, c’est la question de survie qui me tient à cœur », relate cette femme. Cette dernière pour subvenir aux besoins de ses enfants, fait le commerce des produits maraîchers qu’elle va prendre chez des producteurs sur des sites reculés de la localité pour les convoyer dans des marchés de la capitale Lomé. Par ailleurs, elle décrit la non-assistance de sa belle-famille :« Souvent lorsque vous êtes dans ces genres de situations, la belle-famille ne vous soutient pas. »
Habitante d’Agoè, banlieue de la capitale togolaise, Kafui, une jeune femme de 40 ans est de son côté accusée à tort d’avoir tué son mari avant d’être dépouillée de tous ses biens. « Après le décès de mon mari, sa famille m’a tout pris. Ils ne m’ont laissée sans rien. Je suis chassée de notre maison construite à deux « , déplore -t-elle.
Pour de nombreuses femmes, la perte dévastatrice d’un partenaire est amplifiée par un combat de longue haleine pour leurs droits fondamentaux et leur dignité.
Bien que les données restent limitées, l’ONU estime qu’il y a environ 258 millions de veuves dans le monde ; une sur dix vit dans une pauvreté extrême. Selon un article publié le 20/09/2023 par l’Institut du Genre en Géopolitique, parmi les groupes vulnérables qui subissent de manière disproportionnée les conséquences des inégalités persistantes, les veuves occupent une place préoccupante. « Le statut des veuves en Afrique est souvent marqué par une série de préjugés profondément enracinés dans les traditions, les normes sociales et les systèmes juridiques. Ces femmes, confrontées à la perte de leur conjoint, se retrouvent souvent dépourvues de droits, d’accès aux ressources et d’opportunités, ce qui les expose à une vulnérabilité accrue et à des difficultés considérables pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille », indique l’article écrit sur la base d’une étude faite dans 23 pays africains.
Au Togo, il n’existe pas de statistiques sur le nombre exact des veuves. La seule évidence est qu’elles sont laissées dans l’ombre et souvent privées de leurs droits les plus fondamentaux. Une marginalisation renforcée par la combinaison de facteurs sociaux et culturels.
Traditions et croyances
Selon Mark TIASSOU, jeune activiste des droits humains, certaines traditions considèrent les veuves comme impures et porteuses de malédiction. Ce qui justifie en partie les violences faites à l’endroit de ces femmes. « Le faible accès à l’éducation et à l’indépendance économique rend les veuves plus vulnérables. De même, la discrimination envers les veuves s’inscrit dans un système plus large de inégalités entre hommes et femmes », ajoute-t-il. Avant de poursuivre que ces actes de discrimination ont des conséquences désastreuses sur la vie des veuves. Il s’explique : « privées de leurs biens et ressources, les veuves sombrent souvent dans la pauvreté et la dépendance. La discrimination et les violences subies entraînent de graves séquelles émotionnelles et le rejet de leur communauté , les isole et dans certains cas, cela entraine la mort ».
Faut-il également le souligner, au Togo, le code des personnes et de la famille, instrument juridique n’est pas encore ancré dans les consciences pour résoudre l’épineuse question de la succession.
La législation en la matière
Me ABOUGNIMA Molgah Françoise, épouse KADJAKA, présidente de l’Association Aide et action à la veuve, à l’orphelin et à l’enfant déshérité (AAVOED) est une figure incontournable dans la lutte pour les droits des veuves. Dans un entretien exclusif accordé à notre rédaction, elle évoque la législation en ce qui concerne la protection des droits de la femme en général et celle des droits des veuves en particulier.
Selon la présidente de l’AAVOED, au cours de cette dernière décennie, le Togo s’est engagé dans une dynamique d’amélioration des textes juridiques dans une perspective d’égalité des sexes en vue d’assurer le bien-être des populations sans distinction de sexe. Entre autres reformes, on note la révision du Code des Personnes et de la Famille (CPF) respectivement en 2012 et 2014, qui visent à réduire autant que possible les discriminations basées sur le genre et à permettre à tous et à toutes, dans le respect du principe constitutionnel de l’égalité, à participer au développement du pays en conformité avec les conventions internationales ratifiées par le Togo. Ainsi, le code togolais des personnes et de la famille qui regroupe l’ensemble des dispositions qui régissent le statut d’une personne physique dès sa naissance à sa mort, ainsi que les rapports entre une personne et sa famille, protègent les droits du conjoint survivant ; le nouveau code pénal togolais qui réprime toutes les violences faites aux femmes et surtout aux femmes en situation de grande vulnérabilité dont les veuves.
« Le législateur togolais a apporté d’importantes réformes au code des personnes et de la famille révisée en 2014. Ainsi, la loi N°2012-013 du 06 juillet 2012 révisée en 2014, portant code des personnes et de la famille suscitée, a renforcé les droits successoraux du conjoint survivant par l’élimination des collatéraux privilégiés (frères et sœurs) de l’ordre successoral, renforçant ainsi la cohésion sociale par la réduction des discriminations basées sur le genre. La veuve a donc des droits qui découlent de la nature de l’acte de mariage qu’elle présente à l’ouverture de la succession de son feu conjoint. Ces droits varient en fonction des successibles en présence et du régime matrimonial. », fait savoir Me ABOUGNIMA Molgah Françoise qui poursuit qu’« en dehors des droits successoraux, la veuve bénéficie aussi d’une pension de réversion. Le conjoint survivant bénéficie, soit d’une pension, soit d’une rente ».
Bien que les textes existent, la situation n’est pas du tout reluisant reconnait Me ABOUGNIMA Molgah qui affirme que « les veuves font face aux difficultés et discriminations notamment l’ expulsion du toit conjugal par la belle famille ; le refus des membres de la belle-famille à désigner un administrateur des biens de la succession pour l’organiser et permettre à la veuve de bénéficier de ses droits dans la succession ; la torture morale par des rites humiliants et dégradants ou parfois des accusations gratuites à l’encontre de la veuve d’avoir tué son mari pour hériter des biens afin de la spolier de ses droits entre autres ».
Il faut faciliter et améliorer la vie aux veuves
Pour Me ABOUGNIMA Molgah Françoise, il faut une prise de conscience collective de la vulnérabilité des veuves et d’interpellation des pouvoirs afin de protéger leur population contre toutes formes de discrimination. Elle recommande également d’intensifier la vulgarisation des textes de lois qui protègent les droits de la veuve ou de la femme ; mettre plus l’accent sur l’alphabétisation des femmes et l’autonomisation économique des femmes.
« Il faut également que le gouvernent initie des actions qui visent à améliorer les conditions de vie des femmes au TOGO ; réduire la pauvreté par des activités génératrices de revenus ; renforcer l’accès de la femme au droit et à la justice, pour faire valoir ses droits ; initier plus de lois répressives contre les violences et les discriminations faites aux femmes et veuves et mener des actions de sensibilisation des femmes à la dénonciation des violences dont elles sont victimes et particulièrement les veuves », rajoute-t-elle.
Au demeurant, un changement de mentalités s’avère important pour une société beaucoup plus égalitaire.
Reachel DOUBIDJI