Les violences domestiques, en particulier contre les femmes, sont récurrentes et prennent plusieurs formes allant des violences physiques aux violences psychologiques en passant par les violences sexuelles et économiques entre autres. Ce grand reportage lève le voile sur ces types de violences souvent banalisées mais qui rongent des milliers de femmes sous le toit conjugal.
Djatougbé est mariée en 2020 à Arnauld, un jeune mécanicien. Le couple vit à Gbomamé, banlieue de Lomé, la capitale togolaise. Depuis 2 ans, leur foyer rime avec les coups et gifles. « Je suis devenue un objet pour mon mari. Moindre chose, il me frappe. La dernière fois, il est revenu du boulot à 19 heures et réclame avoir faim. Le jour-là, j’ai préparé de la pâte accompagnée de la sauce d’Adémè. Je lui ai donc servi le repas. Après avoir gouter, il estime que la sauce est trop salée. Subitement, il a commencé par me gifler et me frapper avec une certaine agressivité », témoigne la jeune dame qui peine à mettre les mots sur cette situation qu’elle vit au quotidien.
C’est une réalité, beaucoup de femmes au Togo, sont victimes de violences orchestrées par leur mari, conjoint ou partenaire. Dans un désespoir solitaire, elles en ont « honte » et cachent souvent leur « détresse ».
Selon les résultats de l’enquête d’Afrobaromètre au Togo, rendus publics en mars 2022, conduite par le Center for Research and Opinion Polls (CROP), pour près de la moitié des Togolais, il est justifié que l’homme batte sa femme lorsque celle-ci pose un acte qu’il n’a pas aimé. Plus spécifiquement, selon ladite enquête : Plus du quart des Togolais disent qu’il est « assez courant » (22%) ou « très courant » (6%) pour les hommes d’utiliser la violence contre les femmes. Près de la moitié (47%) des Togolais pensent qu’il est « parfois » ou « toujours » justifié qu’un homme batte sa femme. Environ deux tiers (64%) des Togolais soutiennent que la violence domestique est une affaire familiale plutôt qu’une affaire pénale. Cette enquête révèle par ailleurs, que les Togolais préfèrent que les violences conjugales soient gérées en privée plutôt qu’en suivant des procédures pénales. D’après les répondants, une femme victime de VBG et qui porte plainte sera prise au sérieux par la police, mais risque d’être critiquée, harcelée ou humiliée par la communauté.
« L’alcoolisme », « la jalousie », « le manque de confiance en son partenaire » …, un inventaire d’excuses minimise, de fait, la responsabilité des conjoints dans la violence infligée aux femmes.
Claire dont le mari revient à la maison chaque soir ivre, nous raconte son parcours. « Pour un oui ou non, il me donne des coups. Je ne dois pas luis refuser par exemple un acte sexuel. Même si je n’en ai pas envie, je suis obligée d’accepter au risque de subir des actes de violences », relate la jeune dame.
Solange, une autre victime décrit son mari comme un pervers narcissique qui la considère comme sa propriété privée. Elle témoigne : « Je n’ai pas le droit de discuter avec un homme, même pas avec mes cousins. Généralement, c’est la jalousie qui déclenche nos disputes qui se terminent souvent par des actes de violences venant de sa part »
En effet, les violences domestiques, selon Mme ADEKAMBI Bayi , Coordinatrice des programmes du Groupe de Réflexion et d’Action, Femme, Démocratie et Développement (GF2D) désignent tous les actes de violence physique, sexuel, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoint ou partenaire indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime.
« Ce phénomène devient encore plus récurrent au Togo, par manque d’éducation, d’informations et une négligence alarmante du fléau des violences domestiques », explique la défenseuse des droits humains.
Pour sa part, M. Robert AZIAGBE, juriste et activiste des droits humains précise que la violence domestique ne surgit pas par hasard, elle implique l’usage de la force et de la menace : « le geste violent est une stratégie qui vise une fin. Il constitue un abus de pouvoir de par les intentions poursuivies qui sont de contrôler, dominer, insulter, menacer, tuer… La vie de couple, malgré les évolutions sociétales, continue de représenter un idéal. Les femmes victimes de violences domestiques sont souvent prisonnières de cet idéal », dit-il, avant de poursuivre que « la violence s’inscrit dans une relation amoureuse. Cela permet donc de comprendre l’état de confusion, d’hésitation dans lequel se trouve la victime face aux violences qu’elle subit de la part de son conjoint ».
Les facteurs contribuant aux violences domestiques
Plusieurs facteurs peuvent contribuer à ces violences, y compris des déséquilibres de pouvoir dans les relations, des normes culturelles qui tolèrent ou encouragent la violence contre les femmes. Des problèmes de santé mentale ou d’abus de substances, les pressions économiques et sociales peuvent également aggraver la situation.
La loi togolaise décrit et réprime sévèrement les violences domestiques à l’égard des femmes. Le code pénal togolais définit la violence domestique en son article 232 : « constituent les violences à l’égard des femmes, tout actes de violences dirigées contre les personnes de sexe féminin qui leur cause ou peuvent les causer un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques L’article suivant défini la sanction contre les violences ». Les auteurs de ces actes sont donc punis sévèrement conformément à la loi.
Malgré les garanties de la loi et la ratification par le pays des instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme qui interdisent la discrimination pour des raisons de genre, la subordination des femmes et des filles continue toujours de faire partie des coutumes socio-culturelles et des pratiques juridiques, placées sous dominance masculine.
Les conséquences de ces actes sur les victimes
Interrogée sur la question, la Coordinatrice des programmes du GF2D explique que les femmes victimes de violences domestiques subissent de graves conséquences. Il ne s’agit pas seulement des blessures physiques visibles, mais aussi des préjudices psychiques, des séquelles psychosomatiques. « Certaines de ces femmes présentent des comportements à risque comme l’abus de l’alcool, les troubles de mémoires, des insomnies, et des dépressions. On note également chez d’autres un abandon du foyer », indique Mme ADEKAMBI Bayi.
Pour sa part, Robert AZIAGBE, juriste, ajoute que les enfants qui grandissent dans des foyers où des violences conjugales ont lieu sont également à risque de subir des traumatismes émotionnels et de reproduire ces comportements plus tard dans leur vie.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les violences au sein du couple ont une incidence majeure sur la santé des femmes, elles entraînent à court et long terme de graves problèmes de santé physique, mentale, sexuelle et génésique pour les victimes et leurs enfants et elles ont de ce fait des coûts sociaux et économiques élevés. D’après l’institution onusienne, les conséquences sanitaires sont multiples : La violence à l’encontre des femmes peut avoir une issue mortelle, qu’il s’agisse d’homicides ou de suicides. La violence d’un partenaire intime pendant une grossesse augmente aussi la probabilité de fausse couche, de naissance d’enfants mort-nés, d’accouchement prématuré et d’insuffisance pondérale à la naissance. Aussi, les violences conjugales peuvent-elles avoir des répercussions significatives sur la vie professionnelle des victimes. En effet, les blessures potentielles, le dénigrement, l’isolement, le contrôle de l’activité économique et des déplacements par le conjoint, la perte de confiance en soi peuvent perturber voire rendre difficile l’accès ou le maintien dans l’emploi ou la formation.
Au Togo, il existe des centres d’écoute et de soutien aux victimes de violences basées sur le genre dont les violences domestiques. Comme souligné plus haut, la loi est également claire sur la protection des femmes et leurs droits. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour assurer une protection efficace et complète pour toutes les victimes, y compris un meilleur accès aux ressources et une application plus stricte des lois existantes.
Que faut-il faire pour venir à bout du fléau
Pour Mme ADEKAMBI Bayi , Coordinatrice des programmes, il faut intensifier la sensibilisation : « Nous en tant que OSC faisons des sensibilisations en passant par émissions radiophoniques en langue locales, des causeries débats… mais il est essentiel que ces sensibilisations puissent être intensifiées. Et les autorités locales doivent également y contribuer en rendant accessible les lois à toutes les couches sociales », a-t-elle affirmé, avant de poursuivre que « pour réduire voire éradiquer ces violences domestiques, il faut tout d’abord responsabiliser les hommes et les femmes en leur inculquant les valeurs de la non-violence et en leur donnant les informations claires sur ce que dit la loi sur les violences domestiques ».
Quant aux auteurs de cette violence, cette dernière estime que « les autorités compétentes doivent s’assurer qu’ils subissent les sanctions définies par le code pénal afin de faire prendre conscience aux autres du risque encouru et de l’effectivité de l’application de la loi ». Car révèle Mme ADEKAMBI Bayi « dans bien de cas, les femmes victimes acceptent de subir ces violences en se disant en amont qu’elles ne trouveront pas gain de cause auprès des autorités compétentes ».
La défenseuse des droits humains recommande par ailleurs, aux femmes victimes de violences domestiques de savoir quitter très tôt l’environnement dans lequel ces violences leur sont infligées et d’avoir le courage de dénoncer l’auteur de ces violences auprès de la police, des organisations de défense des droits humains, de la justice. « Egalement, les femmes doivent cultiver l’esprit de solidarité en dénonçant ces actes quand elles sont des témoins de victimes et en arrêtant de faire culpabiliser la femme victime car cela laisse de grandes séquelles », conseille-t-elle.
La lutte contre les violences conjugales nécessite une approche incluant des efforts de prévention, de protection, de sensibilisation et de sanction. Il urge de continuer à travailler sur la transformation des normes sociales et culturelles qui tolèrent ces violences, tout en améliorant les mécanismes de soutien et de protection pour les victimes. Il est tout aussi important d’impliquer les hommes dans cette lutte comme alliés, pour promouvoir des relations saines et égalitaires.
Christian PALLEY