Pour ce mois de Juillet, notre « femme audacieuse du continent » vient du pays des ‘’Hommes intègres’’. Il s’agit de Odile Sankara, artiste-dramatique. Sur les traces de ses aînés comme entre autres, feu Amadou Bourou, Seydou Boro, Alain Héma, Serge Aimé Coulibaly, l’artiste burkinabè trouve dans le théâtre une aubaine pour dénoncer l’injustice et réveiller les consciences. La sœur cadette de Thomas Sankara s’est livrée avec enthousiasme à EkinaMag. Lisez plutôt :
Odile Sankara, les lecteurs d’EkinaMag sont curieux de savoir sur votre parcours professionnel ?
Mon parcours professionnel n’est pas différent de ceux qui ont embrassé la carrière d’artiste-dramatique. Au début, le désir gronde en nous, on ressent le besoin d’y aller, on pousse la porte, on s’y engouffre puis on y reste.
Après la Maîtrise de Lettres option Arts du spectacle à l’Université de Ouagadougou, j’ai intégré la Compagnie Feeren de feu Amadou Bourou. Il fut un grand homme de culture au Burkina, c’est lui qui a professionnalisé le théâtre au Burkina. C’est là que j’ai acquis les fondamentaux du théâtre. Je me permets de citer des collègues artistes qui ont bénéficié des mêmes enseignements et sont devenus des icônes, des étoiles à l’instar de Seydou Boro, Alain Héma, Serge Aimé Coulibaly.
Je suis passée par l’école de l’UNEDO, Union des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou pour deux années d’enseignement. Par la suite et pour la plupart du temps, j’ai eu des opportunités de travailler avec différents metteurs en scène en Afrique, en Europe et dans l’océan indien.
Un ami metteur en scène m’a dit un jour que le métier de comédien est un métier de vieux. Il se construit avec le temps. Pour moi, la scène reste la plus grande école de théâtre. Il nous révèle à nous-même.
Femme polyvalente puisque vous êtes comédienne, metteure en scène. Pourquoi avez-vous choisi le théâtre comme mode d’expression ?
Il me donne les moyens de poursuivre mon accomplissement. J’ai choisi le théâtre tout simplement pour exister en tant que femme et prendre la parole en toute liberté. C’est cela, prendre la parole pour s’exprimer et dire, nommer l’indicible. Dire non à l’injustice. Le théâtre le permet.
Il crée du lien avec la communauté, avec la société. Il nous ouvre au monde. En cela, on existe pour la majorité. On pense continuellement aux nôtres marginalisés, fragilisés, humiliés, déshumanisés et également à tous ceux de l’ailleurs qui sont également marginalisés.
L’espace du jeu théâtral est le lieu de tous les conflits possibles. C’est un espace de vérité comme j’aime le dire, on ne peut pas tricher. La relation au public est saine et fusionnelle. Cette puissance de l’incarnation transfigurée par la magie du plateau est possible parce que le théâtre est doté d’une arme puissante, la poésie et ses mots qui percutent et résonnent avec incandescence.
C’est une baraka, une chance inouïe d’exercer ce métier. C’est une grande richesse dans la construction de soi de son rapport aux autres et son ouverture au monde. C’est le lieu même de la spiritualité.
On a l’habitude de dire que vous continuez la lutte de votre frère aîné Thomas Sankara via le théâtre . Que répondez-vous?
L’opinion africaine dit ceci, dans tous les cas, la plupart des citoyens des pays que j’ai rencontrés disent qu’en chaque africain, il y a une part de Sankara. Ce qui signifie que l’héritage qu’il nous a laissé est riche. Il nous appartient donc, chacun, de nous en emparer pour faire face au présent et envisager l’avenir avec lucidité.
Son combat fut noble pour le continent, il est tout à fait légitime de le poursuivre, chacun dans son domaine d’activité. L’Afrique a besoin de chacun de ses filles et fils pour la restaurer. Lui redonner son visage lumineux. Se donner la main. Avoir une vision commune. Préserver nos valeurs fondamentales.
Après un long exil en France, aujourd’hui vous pratiquez votre art dans votre pays ? Qu’est-ce qui a facilité ce retour à la source ?
En réalité, je ne suis jamais partie. Je ne me suis pas exilée. On part quand on en a fait un choix. J’ai commencé mes premiers pas au théâtre dans la Compagnie Feeren de feu Amadou Bourou comme je l’ai dit plus haut. Feeren avait des partenariats, des jumelages notamment dans l’est de la France. Très vite, le Directeur du Théâtre national de Belfort, Le Granit, a pris langue avec Amadou Bourou pour que je bénéficie d’une résidence au Granit. J’avais donc le statut d’artiste associé et j’y étais toute la saison théâtrale, c’est-à-dire du mois de septembre au mois de juin. Je rentrais deux mois de vacances au Burkina. J’y suis restée cinq ans. J’ai travaillé avec Jean Lambert-wild, lui aussi metteur en scène associé. Ce fut cinq années d’activité intense, de formation de création et de diffusion dans l’aire berfortaine et environnante. Puis j’ai rencontré le metteur en scène Jean-Louis Martinelli. Avec lui, j’ai été tout le temps en création et en tournée à travers le monde. Je rentrais à Ouaga dès que je finissais une tournée mais on ne me voyait pas. Seulement les personnes de mon cercle et de nouveau je repartais en tournée. Et cela a duré une décennie. Voilà le bref récit de mon parcours hors les murs du Burkina. Plusieurs personnes disent que j’étais en exil ou que je vivais en Europe. Elles n’ont peut-être pas tort puisque j’étais presqu’absente. En réalité, c’était toujours un mouvement circulaire lié à l’exercice de ma profession.
Le retour ? Je dirai que j’ai renoué avec mon terroir, mes fondements. J’ai retrouvé la profession toujours au chaudron. J’ai retrouvé les vibrations de ma terre, de nouvelles énergies, d’autres sensations liées au contexte, une situation d’urgence. Mais en réalité, à quelques variations près, ça m’a confirmé que le théâtre reste un art total et universel.
Je suis contente d’être là et de participer au développement du théâtre au Burkina. J’ai créé ma Compagnie de théâtre, Kandima. Je fais la mise en scène depuis plusieurs années, je continue de jouer comme comédienne. J’ai eu une belle reconnaissance, Etienne Minoungou, le fondateur des Récréatrales m’a passée la main pour prendre la Présidence. Je participe à la formation et pas seulement au Burkina.
Vous étiez sur scène le 31 mars 2023 à l’Institut Français du Togo pour la pièce théâtrale » Et que mon règne arrive » de la franco-camérounaise Leonora Miano. Parlez-nous de cette pièce.
Et que mon règne arrive, c’est ma toute dernière création. Je l’ai désiré comme lorsqu’on désire un enfant ou quelque chose de précieux. J’ai eu l’opportunité d’assembler de beaux matériaux forts s’inscrivant dans une vision constructive. Je voulais parler de nous de l’intérieur, parler de l’Afrique de l’intérieur. De ce qui fait sa force, son potentiel, ses valeurs fondamentales. Et que mon règne arrive, c’est un texte, une pensée structurée pour faire entendre une voix originale, forte qui parle de l’endroit d’où je suis. Léonora Miano, à travers son parcours et sa présence au monde, témoigne d’une grande profondeur de réflexion sur le féminisme, la femme africaine, l’Afrique et sa diaspora et plus généralement la société́ qui l’entoure. Je voulais un texte qui nous sorte de la victimisation pour nous projeter dans le futur autour des thèmes de l’éducation et de la transmission.
Amener la question de la sororité planétaire au théâtre, c’est imaginer à présent le règne du féminin. Celui d’être le moteur d’une transformation du monde. Pour nous femmes africaines, comment pouvons-nous être reconnues et écoutées, comment sortir de la culpabilité, comment se réclamer des grandes figures africaines qui ont lutté armes à la main pour défendre leur liberté, en même temps que celle des hommes ? Il est important, dans ces moments d’éveil des consciences et de résistance, de faire nous parvenir enfin les questions millénaires et la multitude de leurs réponses possibles par le prisme de la femme.
Et que mon règne arrive est un message retentissant aux femmes. Un mot aux jeunes filles?
Ce spectacle est riche de ses mots, de sa littérature, de son texte bref il est riche de sens. Il est riche également de la beauté et de la qualité des artistes et techniciens qui le composent.
Oui en effet, il s’adresse à nos filles pour leur dire que la liberté s’acquiert par la connaissance de soi. La connaissance de son Histoire avec ses magnifiques femmes à travers les grandes figures de guerrières, de prêtresses, de Mères courages. Il ne s’agit pas de les imiter mais de s’en inspirer. S’inspirer de leurs énergies. Nos filles ne doivent pas oublier que la femme est et doit être le moteur de la transformation du monde. Cela dit, il est de notre responsabilité de les accompagner en mettant l’accent sur l’éducation et la transmission. Les armer avec force et beauté, les outiller avec dignité pour leur donner le choix de choisir conséquemment.
Propos recueillis par Ida BADJO