Dans le cadre de la journée internationale des veuves célébrée ce 23 Juin, en complément des témoignages recueillis sur le quotidien difficile des veuves, EkinaMag a interviewé Me ABOUGNIMA Molgah Françoise, épouse KADJAKA, notaire, députée, auteure et présidente de l’Association Aide et action à la veuve, à l’orphelin et à l’enfant déshérité (AAVOED). Dans cet entretien, elle nous parle de la situation des veuves au Togo, la législation en la matière, les difficultés et discriminations dont font face les veuves et les actions menées par son association en faveur de cette couche vulnérable. Lire plutôt :
Bonjour Madame! S’il vous plait, présentez-vous à nos lecteurs ?
Je me nomme madame ABOUGNIMA Molgah Françoise, épouse KADJAKA, je suis Notaire, Présidente honoraire de la Chambre Nationale des Notaires du TOGO, Députée à l’Assemblée nationale, Auteure et Présidente de l’association AAVOED.
Est-ce qu’au Togo la loi protège-t-il les veuves ?
Au cours de cette dernière décennie, le Togo s’est engagé dans une dynamique d’amélioration des textes juridiques dans une perspective d’égalité des sexes en vue d’assurer le bien-être des populations sans distinction de sexe. Entre autres reformes, on note:
- La révision du Code des Personnes et de la Famille (CPF) respectivement en 2012 et 2014, qui visent à réduire autant que possible les discriminations basées sur le genre et à permettre à tous et à toutes, dans le respect du principe constitutionnel de l’égalité, à participer au développement du pays en conformité avec les conventions internationales ratifiées par le Togo. Ainsi, le code togolais des personnes et de la famille qui regroupe l’ensemble des dispositions qui régissent le statut d’une personne physique dès sa naissance à sa mort, ainsi que les rapports entre une personne et sa famille, protègent les droits du conjoint survivant ;
- Le nouveau code pénal togolais qui réprime toutes les violences faites aux femmes et surtout aux femmes en situation de grande vulnérabilité dont les veuves.
En tant que présidente de l’Association Aide et action à la veuve, à l’orphelin et à l’enfant déshérité (AAVOED), dites-nous, quelle est la situation des veuves au Togo, au moment où on célèbre la Journée Internationale des veuves ? Quelles sont les principales difficultés et discriminations dont elles font face?
Le législateur togolais a apporté d’importantes réformes au code des personnes et de la famille révisé en 2014. Ainsi, la loi N°2012-013 du 06 juillet 2012 révisée en 2014, portant code des personnes et de la famille suscitée, a renforcé les droits successoraux du conjoint survivant par l’élimination des collatéraux privilégiés (frères et sœurs) de l’ordre successoral, renforçant ainsi la cohésion sociale par la réduction des discriminations basées sur le genre. La veuve a donc des droits qui découlent de la nature de l’acte de mariage qu’elle présente à l’ouverture de la succession de son feu conjoint. Ces droits varient en fonction des successibles en présence et du régime matrimonial.
- Droits en presence des successibles: lorsque le défunt laisse des enfants ou descendants d’eux, le conjoint survivant a droit au 1/4 des biens de la succession (art.428). Si à défaut de descendants, le défunt laisse un ou plusieurs parents ascendants, son conjoint survivant a droit à la moitié (1/2) des biens dépendant de la succession (art.429). A défaut de descendants et d’ascendants, la succession est dévolue en totalité au conjoint survivant (arts: 430/ 438).
- Les droits du conjoint survivant en fonction du régime matrimonial
Lorsque les époux se marient sans contrat, leur mariage est régi par le régime légal ou régime de droit commun qui est celui de la séparation de biens ; à la dissolution du mariage pour cause de décès, le conjoint survivant a droit au 1/4 des biens successoraux. En cas de pluralité de conjointes survivantes (cas des foyers polygamiques), toutes se partagent équitablement le quart (1/4) des biens, ou la part qui revient au conjoint survivant.
Lorsque les époux se marient sous contrat et en optant pour le régime de la communauté ou sous celui du régime communautaire de participation aux meubles et acquêts, la liquidation de la communauté s’impose avant celle de la succession. La liquidation de la communauté procure au conjoint survivant la moitié (1/2) du patrimoine du couple. La liquidation de la succession s’effectue sur l’autre moitié (1/2) et lui donne droit au quart (1/4) sur cette masse successorale.
- En dehors des droits successoraux, la veuve bénéficie aussi d’une pension de réversion. Le conjoint survivant bénéficie, soit d’une pension, soit d’une rente.
En ce qui concerne le second volet de votre question, les veuves font face aux difficultés et discriminations suivants: expulsion du toit conjugal par la belle famille ; refus des membres de la belle famille à désigner un administrateur des biens de la succession pour l’organiser et permettre à la veuve de bénéficier de ses droits dans la succession ; torture morale par des rites humiliants et dégradants ou parfois des accusations gratuites à l’encontre de la veuve d’avoir tué son mari pour hériter des biens afin de la spolier de ses droits entre autres.
Parlez-nous brièvement d’AAVOED et des différentes actions qu’elle mène en faveur de cette couche vulnérable ?
Notre association s’occupe du bien-être de la veuve, de l’orphelin et des personnes vulnérables en général; de l’autonomisation de la femme et des personnes en situation de handicap; de la protection de l’environnement, entre autres.
Nous menons des actions de vulgarisation des instruments juridiques pour renforcer les capacités intellectuelles de la femme :
-des actions de soutiens d’activité génératrices de revenu aux veuves et aux personnes vulnérables ;
-des actions de promotion de l’éducation en faveur des orphelins et enfants en situation de vulnérabilité à travers des dons de Kits scolaires ;
Bref, des actions qui améliorent la vie de la veuve et l’orphelin.
A partir de quel moment avez-vous décidé de défendre les causes sociales notamment les veuves et qu’est-ce qui vous a donné le déclic ?
Notre action a débuté réellement depuis 2008, au regard des dispositions discriminatoires contenues dans l’ordonnance n° 80-16 du 31 janvier 1980. En effet, certaines dispositions de ladite ordonnance dénient aux femmes leurs droits successoraux, notamment l’article 91 en ce qui concerne sa vocation successorale, ou l’article 397 de l’ordonnance qui déniaient la vocation successorale à la conjointe survivante pour refus de se soumettre aux rites de deuil. La coutume avait donc grande emprise dans le code. C’est ainsi qu’à travers des plaidoyers et sensibilisations, nous avons œuvré aux côtés d’autres associations pour l’amélioration de la condition du conjoint survivant dans le nouveau code des personnes et de la famille.
Le monde entier célèbre ce 23 Juin, la journée internationale des veuves. Expliquez-nous le bien-fondé de cette journée !
Cette journée internationale qui est saluée, représente une occasion d’informer le public sur des thèmes liés à des enjeux majeurs comme les droits fondamentaux, en occurrence les droits des veuves. C’est une journée de prise de conscience collective de la vulnérabilité des veuves et d’interpellation des pouvoirs afin de protéger leur population contre toutes formes de discrimination.
Que faut-il faire pour faciliter et améliorer la vie aux veuves ?
Pour ma part, je pense qu’il faut intensifier la vulgarisation des textes de lois qui protègent les droits de la veuve ou de la femme ; mettre plus l’accent sur l’alphabétisation des femmes et mettre l’accent sur l’autonomisation économique des femmes.
Une autre information utile à ajouter ?
Il faut également que le gouvernent initie des actions qui visent à améliorer les conditions de vie des femmes au TOGO (accès aux soins, éducation, aux formations relatives au maniement de l’outil informatique) ;
Par ailleurs, il faut réduire la pauvreté par des activités génératrices de revenus ; renforcer l’accès de la femme au droit et à la justice, pour faire valoir ses droits ; initier plus de lois répressives contre les violences et les discriminations faites aux femmes et veuves et mener des actions de sensibilisation des femmes à la dénonciation des violences dont elles sont victimes et particulièrement les veuves.
Interview réalisée par Hélène DOUBIDJI