Elle est une référence dans son domaine. Mme NAPALA Kuwèdaten fait partie de ces femmes qui illuminent le ciel de l’intelligentsia féminine au Togo. Enseignante-chercheuse à l’Université de Kara où elle occupe des fonctions administratives, son grand souhait est de voir plus de femmes dans son domaine. C’est une femme avec un parcours brillant, malgré de nombreuses difficultés, qui se livre à Ekinamag. Lecture :
Parlez-nous de vos études et votre parcours professionnel
J’ai fait mes études du cycle primaire dans plusieurs villes du Togo car la profession de mon père nous amenait à nous déplacer régulièrement : Kantè, Mango, Dapaong et Lomé. J’ai effectué mes études secondaires au collège Mô-fant de Dapaong, un établissement privé catholique dirigé par les religieuses de la communauté apostolique Saint François Xavier au service de la promotion de la jeune fille togolaise.
Ensuite, j’ai poursuivi les études universitaires à l’Université de Lomé et à l’Université de Bordeaux 3. Après le diplôme de maîtrise que j’ai obtenu en 1994, j’ai d’abord enseigné l’histoire et la géographie dans des lycées privés et publics. Depuis 2008, je suis enseignant-chercheur à l’Université de Kara où j’ai occupé et occupe des fonctions administratives. En effet, j’ai d’abord été directrice-adjointe en 2014 puis directrice à la Direction des Affaires Académiques et de la Scolarité de 2017 à 2019. Actuellement je suis la Directrice de la Recherche, de la Coopération et des Partenariats.
1ère femme professeure titulaire en histoire moderne et contemporaine au Togo, vous devez en être fière mais il semble que votre domaine est boudé par des femmes
Je ne pense pas que le domaine de l’histoire soit boudé par les femmes. Beaucoup de filles s’inscrivent en histoire dans les deux universités publiques du Togo chaque année. Plusieurs sont sorties nanties de la licence. Bien qu’on constate que peu ont évolué jusqu’au master et en doctorat, pour diverses raisons, on note cependant qu’il y a bel et bien aujourd’hui des femmes docteures en histoire, au Togo, qui souhaitent enseigner dans nos universités. Malheureusement le recrutement ne suit pas toujours ou se fait à compte-gouttes. Cette réalité n’est pas seulement l’apanage des femmes, les hommes docteurs sont eux aussi confrontés à cette difficulté.
Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Les principales difficultés sont celles que peut rencontrer toute personne qui étudie ou fait de la recherche. Cependant, sur un plan personnel je dois souligner deux difficultés majeures auxquelles j’ai été confrontée. Premièrement, il y a le fait que j’ai dû allier les études et la maternité car j’ai eu mes enfants lorsque je poursuivais encore les études universitaires. Cela n’a pas été facile. Cela a nécessité une forte volonté, une bonne dose de courage, de détermination, de la persévérance et du sacrifice. Deuxièmement, j’ai entrepris les études doctorales en France sans bourse d’étude et sans aucune aide financière extérieure. Il a fallu donc que je travaille pour payer mes études et effectuer les recherches, tout en s’occupant de ma famille.
Sur le plan académique et scientifique, il a fallu aussi gérer une difficulté de taille, celle de la rareté et/ou de l’éloignement des sources historiques sur lesquelles je travaillais. En effet, j’ai fait une thèse sur les forces religieuses et les rapports interreligieux au Togo sous la colonisation française (1914-1960), avec un centre d’intérêt particulier pour les Missions chrétiennes et l’évangélisation au Togo. Il y a lieu de souligner que les archives missionnaires relatives à ce champ d’études se trouvent, pour la plupart, en Europe (notamment à Paris, à Rome à Strasbourg et en Allemagne). Or la science historique nécessite un travail de terrain et des investigations dans les archives où se trouvent souvent des sources inédites, nécessaires à l’écriture ou la réécriture de l’histoire. Certaines archives capitales pour mes recherches n’étaient pas encore ouvertes au public au moment où j’ai commencé le travail. J’ai dû attendre qu’elles le soient.
Est-ce les femmes togolaises ont une place dans l’histoire contemporaine et moderne au Togo ?
Vous parlez de l’histoire moderne et contemporaine en tant que discipline ? Alors oui, les jeunes filles s’intéressent de plus en plus aux études en histoire. Elles cherchent à aller le plus loin possible dans les études du troisième cycle même si leur nombre, dans cette filière, n’est pas très élevé. Étudiante, j’ai eu trois femmes comme enseignantes à l’université du Bénin, (actuelle université de Lomé) et je dois avouer que l’une d’elles m’a fortement inspirée.
Je voudrais aussi rappeler que cette année (en juillet 2022), trois historiennes togolaises ont été promues sur les listes d’aptitude du CAMES : une au grade de Maitre-Assistant, une autre au grade de Maitre de Conférences et la dernière au grade de Professeur Titulaire. Comme je l’ai précédemment dit, des femmes docteures attendent actuellement d’être recrutées par les universités.
Par ailleurs, des historiennes ont contribué à l’écriture de l’histoire au Togo et ont dispensé des cours sur l’histoire des femmes dans les deux universités publiques du Togo. Pour l’instant leur nombre est infime. Mon souhait est que les deux départements d’histoire du Togo soient davantage féminisés. Cela encouragerait les filles qui choisissent cette filière à persévérer dans leurs études.
Quelle est la plus-value de cette matière enseignée au temple du savoir ?
L’histoire est une science sociale dont l’enseignement a pour objectif d’enquêter sur le passé, de mettre en lumière des pans de l’histoire de l’humanité méconnus du grand public et qui pourrait se perdre sans le travail de l’historien.
Enseigner l’histoire consiste à fournir aux apprenants les outils nécessaires à la compréhension des débats sur les grandes problématiques et les enjeux de leur société, à la lumière du passé. L’enseignement de cette discipline fondamentale permet à l’apprenant de comprendre le monde dans lequel il vit de même que les forces, les mouvements et les évènements qui l’ont façonné. Il favorise sa compréhension critique des phénomènes historiques pour mieux penser son présent et son avenir.
Pourquoi selon vous l’éducation de la jeune fille est importante de nos jours ?
« …Eduquer une femme c’est éduquer toute une nation. » disait l’intellectuel Ghanéen James Emman Kwegyir Aggrey. C’est on ne peut plus clair ! Aujourd’hui encore plus qu’hier, l’éducation de la jeune fille demeure un puissant facteur de développement : son développement personnel et le développement équilibré de la société qui repose sur une complémentarité entre hommes et femmes. Nul n’ignore le rôle fondamental que joue la femme dans l’éducation des enfants, dans la transmission des valeurs mais aussi comme actrice du développement socioéconomique. Ce rôle important joué par la femme nécessite qu’elle-même soit très bien éduquée et formée afin d’être un pilier solide pour sa famille et sa communauté, un exemple pour les générations suivantes. Aussi, en mettant l’accent sur l’éducation de la fille cela permet de corriger les injustices dont elle est souvent victime car, dans divers domaines, elle est parfois sacrifiée au profit des garçons. C’est aussi la meilleure voie pour l’aider à briser son complexe d’infériorité et les stéréotypes sexistes qu’elle subit ; c’est lui offrir enfin la possibilité de jouir librement de tous ses droits.
Un mot aux jeunes filles qui vous lisent
J’encourage les jeunes filles à avoir de l’ambition, des objectifs clairs et à persévérer pour réaliser leurs rêves, quelles que soient les obstacles sur leur route. La réussite emprunte des chemins divers et elle est au bout de l’effort. Le principal obstacle à l’évolution dans les études comme dans d’autres domaines de la vie, c’est nous-mêmes. Je les invite à se faire confiance car nous avons tous, en nous, des aptitudes insoupçonnées qui ne demandent qu’à être révélées. J’invite également les parents à soutenir fortement leurs filles dans leurs études.
Interview Réalisée par Ida Badjo