Sika DOSSIM est Pharmacienne-Biologiste et professeure agrégée, un titre rare. Cheffe Département des Sciences fondamentales et Biologiques à l’Université de Kara, elle crée des hashtags notamment sur la résistance aux antibiotiques et l’hygiène des mains pour sensibiliser dans le but de préserver la santé des populations. Un bel exemple de réussite féminine dans son domaine avec qui Ekinamag s’est entretenu. Lisez plutôt :
Vous êtes pharmacienne-biologiste, maître de conférences agrégée de bactériologie- virologie, cheffe département des sciences fondamentales et biologiques à la faculté des sciences de la santé de l’université de Kara et aussi cheffe service de laboratoire de biologie médicale du chu Kara. Au vu de vos titres et responsabilités quels sentiments vous animent ?
Tous ces titres restent pour moi l’aboutissement des efforts fournis depuis bien longtemps. Je reste convaincue qu’il s’agit d’une grâce divine. En effet, c’était marqué dans mes objectifs de vie. J’avais une vision de ce que je voulais et je me suis battue pour. Je remercie Dieu pour cette grâce et mes parents pour l’accompagnement et les conseils. Ces titres sont la récompense de leur dévouement à mes côtés. Quant aux responsabilités, cela va avec les titres. Un titre sans responsabilité n’est qu’honorifique or je les ai gagnés à la sueur de mon front. Alors mon devoir est de faire de mon mieux et surtout de faire honneur à ma famille.
Quel a été le parcours qui a abouti au stade où vous êtes actuellement ?
Le parcours a été long et pas du tout aisé. Après avoir réussi mon baccalauréat en 2000 à l’âge de 15 ans, je me suis rendue à Dakar (UCAD) pour effectuer mes études de pharmacie que je soutiendrai en 2007. Parallèlement à partir de 2006, j’ai préparé mon Certificat d’études spécialisés (CES) en Bactériologie-Virologie que j’obtiens également dans la foulée en 2007. Animée du désir de faire de la biologie, j’ai obtenu successivement les CES Hématologie-Immunologie, Parasitologie-Mycologie et Biochimie. J’ai eu à préparer également un Master II en Microbiologie que je soutiens en Janvier 2011. Je rentre au pays par la suite et je passe le Concours des Assistants Chef Clinique à la Faculté Mixte de Médecine et de Pharmacie d’alors de l’Université de Lomé et donc depuis fin 2011, je suis enseignante-chercheuse. En 2015, je suis devenue Maitre-Assistante CAMES (Conseil Africain et malgache de l’Enseignement supérieur) et en 2020 après l’obtention du Doctorat de Sciences (Thèse Unique) à l’Université de Lomé, option Microbiologie, j’ai passé le Concours d’agrégation de Médecine Humaine, Pharmacie, Odontostomatologie Médecine Vétérinaires et Productions animales du CAMES. Donc depuis 2020, je suis Maître de Conférences Agrégée et j’enseigne dorénavant à l’Université de Kara.
Est-ce que votre jeune âge n’a pas été source d’embûches lors de votre cursus scolaire et universitaire ?
Mon jeune âge n’a pas été une source d’embûche mais plutôt une contrainte supplémentaire. Dans notre monde et avec nos coutumes, le droit d’ainesse fait légion. Être parmi des personnes plus âgées au cours de mon cursus scolaire m’a valu d’être le plus souvent mise à l’écart surtout que mes notes dépassaient largement les leurs. Cela m’a fait être introvertie et me concentrer plus sur mes études. Avec le recul, je pense que cela a eu plutôt un effet bénéfique.
Justement comment vous y prenez pour vous affirmer dans un monde où l’on est friand du droit d’aînesse ?
Pour évoluer dans le monde du travail où l’on est friand du droit d’ainesse c’est assez simple. Il faut connaître sa place et s’affirmer. Dès l’instant que ceux que vous dirigez savent pertinemment que vous êtes jeune et en plus femme, il faut juste être professionnelle et efficace. Devant ces deux qualités, ils suivent le pas. S’il y a des récalcitrants, il faut donner du ton quand il faut et s’appliquer à les aider dans leurs difficultés professionnelles.
Étant une jeune femme êtes-vous victime de violences basées sur le genre ? Si oui est-ce qu’elles ont touché votre ardeur ?
Oui plusieurs fois, j’ai eu à faire face à des remarques basées sur le genre : « qu’est-ce que cette petite femme peut bien pouvoir nous montrer ? » Des personnes que je dirige ont voulu saper mon autorité parce que je suis une femme. Au fond, je n’ai pas été blessée puisque j’avais remarqué que ces personnes avaient soit un manque de confiance en eux, soit un problème avec la hiérarchie féminine. Je n’étais donc pas le problème, c’était eux le souci. J’ai juste fait comprendre à ces gens que je reste leur supérieure et donc j’interagis au quotidien avec eux de manière professionnelle.
Est-ce un rêve d’enfant qui a été réalisé en devenant pharmacienne ?
Depuis toute petite, j’ai rêvé de devenir pharmacienne. Dès l’instant que j’en ai fait part à mes parents, ils ont été ravis et m’ont accompagnée. Les objectifs étaient clairs depuis bien longtemps. En cours de formation, la découverte des êtres microscopiques m’a fascinée, ce qui m’a orientée vers la biologie. Lors de mes vacances au village, j’avais l’habitude de réunir les enfants afin de leur faire des enseignements de tout genre (lecture, écriture, calcul…). Transmettre mes connaissances m’a semblé plus qu’évident et donc faire de la recherche était pour moi incontournable. Je suis fière d’avoir pu réaliser mes rêves et j’espère qu’en donnant un peu de moi au cours de mes leçons en amphithéâtre et des travaux pratiques je pourrais susciter des vocations et aider à leurs réalisations.
Vous avez créé des # entre autres la microbiologie au service de l’Afrique/Sécurité sanitaire des aliments. De quoi s’agit-il ?
Suite à mon agrégation, je me suis fixée comme objectif de renseigner les personnes de divers horizons sur ma discipline et de leur spécifier des comportements à bannir ou à améliorer pour être en meilleure santé. Ceci explique mes différentes publications avec des créations d’hashtags notamment sur la résistance aux antibiotiques, l’hygiène des mains. Parce que nous sommes ce que nous mangeons, je parle un peu des habitudes alimentaires. J’ai finalement créé une page tout récemment dont la mise au point est en cours.
Vos sensibilisations interpellent à plus d’un titre. L’une d’entre elles est la résistance aux antibiotiques. D’abord qu’est-ce que c’est que la résistance aux antibiotiques ? Ensuite comment survient-elle et quelles en sont les conséquences ?
On parle de la résistance aux antibiotiques lorsque les bactéries qui autrefois étaient sensibles à un ou plusieurs antibiotiques deviennent insensibles. Les principales causes relatives à l’homme sont l’automédication aux antibiotiques (prendre un antibiotique sans avis médical), le mésusage des antibiotiques (ne pas respecter les doses, heures de prises et durée de traitement), l’utilisation des antibiotiques de rue (toute façon, il ne faut jamais prendre les médicaments de rue). La conséquence est l’incapacité à traiter des infections ce qui va augmenter les frais de traitement, occasionner des décès et même une probable épidémie dévastatrice et meurtrière. Actuellement certaines bactéries au Togo sont résistantes aux molécules habituelles et donc pour les traiter il faut dépenser plus. Nous voyons donc que cette résistance agit sur le panier de la ménagère, le budget mensuel des familles.
Pourquoi attirer l’attention des populations qui seraient enclin à l’automédication
Il est nécessaire et judicieux d’attirer l’attention des populations sur les risques d’automédication car il s’agit de personnes naïves qui pensent éviter les frais de consultation afin de se traiter moins cher. Il faut préciser que le moins cher d’aujourd’hui leur reviendra à un coût exorbitant demain en face des conséquences précédemment citées.
Quels sont les autres sujets de sensibilisation que vous abordez dans le but de préserver la santé des populations ?
Les autres sujets de sensibilisation dans le but de préserver la santé des populations restent l’hygiène personnelle et alimentaire et la vaccination. Afin d’éviter toute infection, nous sommes tenus de laver nos mains régulièrement à l’eau et au savon, de bien couvrir nos aliments, de laver nos fruits et légumes avant toute consommation. Il faut par ailleurs éviter de faire ses besoins dans la nature proche des lieux d’habitations. Pour certaines maladies, il existe un vaccin alors veillons à préserver nos enfants dès la naissance en les vaccinant dans un centre de santé. D’ailleurs les vaccins inscrits au Programme Élargi de vaccination sont gratuits. Il nous faudra juste faire des rappels pour une protection optimale. Je profite pour rappeler que la prévalence de l’hépatite virale B reste élevée dans notre pays or un vaccin existe et est efficace.
Des filles et femmes en sciences sont minoritaires au sein des filières scientifiques et c’est un constat amer. Selon vous, qu’est-ce qui constitue le goulot d’étranglement au point où elles préfèrent se tourner vers d’autres filières non scientifiques ?
Ce qui empêche les filles à se tourner vers les filières scientifiques reste essentiellement des préjugés. La croyance populaire est que les filières scientifiques sont pour les garçons et celles littéraires pour les jeunes filles. En effet, les filles manquent d’accompagnement et l’éducation sociale les oriente vers des filières dites féminines afin de pouvoir avoir un foyer or la femme est l’essence même de la science. La gestion de la maison fait appel à des lois de probabilités, des calculs mathématiques ; la cuisine est un ensemble de réactions chimiques qu’elles réalisent au quotidien sans même s’en rendre compte. Donc selon moi, elles sont prédestinées à la science il leur faut juste se décider et être accompagnées.
Un conseil à donner aux filles et aux femmes qui redoutent les filières scientifiques
Mon conseil aux filles qui redoutent les filières scientifiques est que tout est possible à celui qui croit. Qu’elles croient en elles et embrassent des carrières de sciences, qu’elles ne se laissent pas démonter par des propos négatifs car dès l’instant qu’elles sentent au fond d’elles qu’elles veulent le faire, elles pourront le faire. La science est pour tous les genres.
Interview réalisée par Ida BADJO