Donner naissance à un enfant atteint d’albinisme expose les mères à une grande souffrance, souvent passée sous silence. Entre la stigmatisation sociale, les superstitions culturelles, et la peur constante pour la sécurité de leurs enfants, ces femmes mènent au quotidien un grand combat. Dans ce reportage, EkinaMag vous plonge dans l’univers de ces mères courageuses qui, au-delà de l’amour inconditionnel qu’elles portent à leurs enfants, doivent affronter des défis inimaginables. De leur quête de justice face aux discriminations à leurs efforts pour offrir une vie normale à leurs progénitures, les témoignages bouleversants de ces femmes révèlent une résilience qui ne dit pas son nom.
Dame Solange s’est marié traditionnellement avec le prénommé Kossi, un jeune originaire du Sud Togo. Très rapidement, elle tombe enceinte et de sa grossesse nait une petite fille atteinte d’albinisme. « Quand mon mari est venu voir l’enfant à la maternité, tout suite son humeur a changé. Pour lui, il est hors de question que cet enfant soit le sien. Il soutient que dans sa famille, personne n’a cette maladie », témoigne la jeune dame qui poursuit que depuis le jour de son accouchement, elle n’a plus revu son ex-compagnon qui a quitté la maison avec tous ses effets.
En effet, l’albinisme selon les spécialistes, est une maladie d’origine génétique. La personne atteinte de cette maladie souffre d’un défaut de production de mélanine. La mélanine est le pigment fabriqué au niveau de l’épiderme qui donne sa couleur à l’iris, la rétine, la peau et les phanères (poils, cheveux). La mélanine permet la protection de la peau et des yeux vis-à-vis des rayonnements lumineux. Ces derniers accélèrent le vieillissement cutané et représentent un facteur de risque du cancer de la peau et de la cataracte. La production de la mélanine est sous le contrôle de divers gènes. Lorsqu’il existe une altération de l’un d’entre eux, l’albinisme apparaît. En fonction de la forme génétique de la maladie, la production de mélanine sera plus ou moins réduite, ce qui conditionne la gravité des symptômes. L’albinisme n’est donc pas un problème de femmes. C’est une maladie génétique héritée des deux parents. L’albinisme est une maladie rare, non transmissible et héréditaire qui existe dans le monde entier. Dans presque tous les cas d’albinisme, les deux parents doivent être porteurs du gène pour le transmettre, même s’ils ne sont pas eux-mêmes atteints d’albinisme.
En raison de la stigmatisation et des mythes qui entourent l’albinisme, les femmes dont les enfants en sont atteints, sont souvent abandonnées par leur conjoint. Elles sont blâmées pour avoir donné naissance à un enfant atteint d’albinisme. Elles témoignent souvent du rejet qu’elles subissent dans leurs communautés. Certaines sont accusées d’être responsables de la condition de leur enfant, considérée comme une malédiction ou une punition divine. Cela peut entraîner un isolement social, voire familial, qui aggrave leur souffrance. « Quand mon fils est né, ma belle-famille a dit que c’était de ma faute, que j’avais attiré un mauvais esprit. Ils m’ont chassé du village », affirme Afi, mère d’un enfant atteint d’albinisme âgé de 8 ans maintenant.
Dans certaines localités, les enfants atteints d’albinisme sont en danger en raison des croyances superstitieuses qui attribuent des pouvoirs magiques à certaines parties de leur corps. Ces mères vivent dans une peur constante de voir leurs enfants enlevés ou tués.
L’albinisme entraîne des besoins médicaux spécifiques, notamment des problèmes de vision et des risques accrus de cancer de la peau. Cependant, de nombreuses familles n’ont pas accès aux soins nécessaires, ce qui est une source de grande inquiétude pour ces mères. « Nous n’avons pas les moyens d’acheter des crèmes solaires ou des lunettes de protection. Je vois la peau de mon fils se détériorer, et je me sens impuissante », explique Afi.
Les enfants atteints d’albinisme rencontrent souvent des difficultés à l’école, allant de l’intimidation par leurs pairs à un manque d’adaptations pour leurs besoins visuels. Les mères témoignent de la douleur de voir leurs enfants marginalisés dans ce qui devrait être un espace de sécurité et d’apprentissage. Amivi témoigne : « Mon fils a été renvoyé plusieurs fois de l’école parce qu’il ne pouvait pas lire au tableau. Les autres enfants se moquaient de lui, et il ne voulait plus y retourner. »
Ces récits montrent que les mères d’enfants atteints d’albinisme subissent une double peine : celle de leur propre souffrance et celle de voir leurs enfants discriminés et menacés. Cependant, ils rappellent aussi l’importance de l’éducation, de la sensibilisation et du soutien communautaire pour réduire les préjugés et offrir un avenir meilleur à ces familles.
Les femmes atteintes d’albinisme aussi confrontées à des oppressions multiples
Par ailleurs, il faut relever que les femmes atteintes d’albinisme sont aussi confrontées à des oppressions multiples, fondées sur le sexe et dues au fait qu’elles sont des personnes atteintes d’albinisme. Elles subissent des discriminations en matière de soins de santé et éprouvent des vulnérabilité. Les difficultés économiques et les obstacles à l’emploi qui en découlent empêchent les femmes touchées par l’albinisme dans des cycles de pauvreté et d’exclusion sociale. Malgré cette situation désastreuse, il n’y a pas assez de plaidoyer ciblant spécifiquement les défis uniques auxquels sont confrontées les femmes atteintes d’albinisme. Leurs droits aux services de santé sexuelle et reproductive sont souvent niés ou compromis en raison de la stigmatisation et des pratiques néfastes à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme et des membres de leur famille. Des mythes profondément ancrés dans certaines cultures conduisent à des attaques rituelles, y compris des meurtres et des mutilations de membres de personnes atteintes d’albinisme, sur la base de l’idée fausse que les parties de leur corps, lorsqu’elles sont utilisées dans la sorcellerie, peuvent apporter la prospérité.
« Du fait de la méconnaissance de l’albinisme, il est difficile de vivre avec cette maladie que l’on soit homme ou femme », fait d’abord observer Mme Rita BOKOVI, gestionnaire de formation qui explique : « les personnes atteintes d’albinisme, de façon générale sont exposées à des actes et propos stigmatisant. On pense qu’elles sont dotées de pouvoir donc elles sont victimes d’agressions. A côté des discriminations et préjugés, nous rencontrons également des difficultés d’ordre professionnel et sanitaire », révèle Mme Rita BOKOVI, gestionnaire de formation, avant de revenir sur l’aspect spécifique de la femme albinos.
En ce qui concerne la femme albinos, elle relève qu’il n’est pas du tout aisé pour elle de trouver un conjoint. « Je n’ai personnellement pas vécu cette situation mais en échangeant avec d’autres sœurs, on se rend compte que le problème est sérieux. Souvent les hommes sont justes curieux de coucher avec la femme albinos », déplore-t-elle.
A Mme Adjesson Florence, assistante au coordonnateur communication et appui aux associations à la FETAPH d’ajouter : « ils se disent avec la couleur de sa peau, elle serait différente sexuellement et donc pour cela ils utilisent la ruse pour les avoir et après ils les abandonnent, certaines avec grossesses ».
L’accent doit être mis sur la sensibilisation
Pour Mme Adjesson Florence, la sensibilisation doit être de mise et continuelle. « Il faut vraiment que l’Association nationale des personnes atteintes d’albinisme trouve les moyens financiers pour lancer une vaste campagne de sensibilisation sur les médias, surtout dans les milieux ruraux notamment à travers les radios communautaires ».
De son côté, Mme Rita demande aux décideurs de prêter main forte aux OSC qui œuvrent pour le bien être de cette couche vulnérable de la société par des financements et partenariats etc. Aux personnes atteintes d’albinisme notamment les femmes, elle leur demande de ne pas se laisser abattre par les difficultés et préjugés mais de rester debout pour montrer qu’elles ont des potentialités à faire valoir. Elle exhorte enfin la société à arrêter les discriminations, stigmatisations et préjugés à l’encontre de cette couche de la société.
La souffrance des femmes dont les enfants sont atteints d’albinisme est un miroir des défis d’une société confrontée à des préjugés et des superstitions profondément ancrées. Au-delà des stigmates, ces mères incarnent une résilience extraordinaire, luttant à la fois pour la protection et l’inclusion de leurs enfants. Ce reportage ne se veut pas seulement un cri d’alarme, mais aussi un appel à l’action collective : sensibiliser, éduquer et légiférer pour garantir à ces enfants le droit à une vie digne et sûre.
Cet article est réalisé avec le soutien du FONDS PANANETUGRI.
Fraine ATITSE