Elles sont nombreuses à souffrir en silence, souvent incomprises, parfois ignorées. L’endométriose, cette maladie chronique et invalidante, touche une femme sur dix, mais reste encore trop méconnue au Togo comme ailleurs. Patiente devenue militante, Nadège Adigun a choisi de transformer sa douleur en engagement. À travers son ouvrage « Endométriose, un livre pour nos jeunes filles », elle brise le silence et ouvre un espace de parole pour les femmes et les adolescentes. La présentation du livre aura lieu le 25 octobre à Lomé, au cours d’une conférence intitulée « Endométriose : Reconnaître, Réparer, Libérer ». Rencontre avec une femme qui fait de la sensibilisation un acte de résistance.
Qui est Nadège ADIGUN ?
Je suis A. Elodie Nadège ADIGUN, microbiologiste de formation, mais avant tout une patiente experte engagée. Mon parcours, marqué par la maladie chronique qu’est l’endométriose, a fait de moi une militante et une auteure. Je me consacre aujourd’hui à l’information et au plaidoyer pour que les jeunes filles et les femmes soient reconnues et soutenues face à cette maladie invalidante.
Vous présidez une association dénommée « Endométriose et nous ». Que fait cette association ?
L’association « Endométriose et Nous » est née de l’urgence d’agir face à l’ignorance et à l’isolement suite à la rencontre de deux femmes souffrant de l’endométriose. L’association « Endométriose et Nous » a pour mission de briser le silence et l’isolement autour de l’endométriose au Togo et en Afrique de l’Ouest.
Nous nous concentrons sur :
- La Sensibilisation : Informer le grand public, les familles les éducateurs sur la réalité de la maladie.
- L’Éducation : Former les jeunes filles et leurs proches aux symptômes pour un diagnostic plus précoce.
- Le Plaidoyer : Interpeller les professionnels de santé et les décideurs politiques pour une meilleure prise en charge de la maladie dans le système de santé.
Notre objectif est simple : transformer la souffrance silencieuse en une voix collective forte pour le changement.
Endométriose : vous évoquez cette maladie invalidante au travers d’un ouvrage. Quels sont les mobiles qui ont délié votre langue ?
Mes mobiles sont profondément personnels et empreints d’une colère constructive. J’ai été moi-même confrontée à l’errance diagnostique, qui dure en moyenne 7 à 10 ans, et à la banalisation de ma douleur. J’ai vu le désespoir, la précarité et l’isolement que cette maladie inflige.
Le silence est l’allié le plus dangereux de l’endométriose. J’ai écrit ce livre pour que plus aucune jeune fille ne se sente folle, que plus aucun parent ne dise « ce n’est qu’une douleur de règles ». Mon mobile est de donner aux jeunes la connaissance pour se défendre et aux familles la compréhension pour soutenir.

Vous estimez que ce livre est un journal de survie d’une « endogirl ». Pourquoi faites-vous cette affirmation ?
Je fais cette affirmation car l’ouvrage est en réalité un duo d’outils : le livre et le « Journal de Survie d’une Endogirl ».
Le livre apporte l’information, le réconfort et l’espoir. Le journal, lui, est l’outil pratique qui permet à la jeune femme de reprendre le contrôle : elle y note l’intensité de ses douleurs, les lieux des symptômes et les effets des traitements. Ce carnet de bord devient un document médical essentiel qui lui sert à communiquer des informations objectives à son médecin. Face à une maladie invisible et complexe, ce journal est littéralement un outil pour mieux naviguer dans le système de soins et, ainsi, mieux survivre.
Cette maladie est quasiment méconnue au Togo et cela pose un problème de sous-diagnostic. Dans quelle mesure votre ouvrage va contribuer à la sensibilisation ?
Notre ouvrage est une ressource vitale. Il est conçu pour être un pont entre les jeunes filles, leurs familles et la communauté médicale. Il va contribuer à la sensibilisation de trois manières :
- Démystification : Il utilise un langage accessible pour expliquer une pathologie complexe, rendant l’information disponible là où elle est la plus rare.
- Détection Précoce : En détaillant les symptômes anormaux, il permet aux jeunes filles de s’identifier et de parler de leur douleur bien avant l’âge adulte.
- Légitimité : En exposant les enjeux et les mécanismes de la douleur, il donne de la crédibilité à la souffrance des patientes et force une meilleure écoute dans le milieu éducatif et médical.
C’est une arme de sensibilisation massive contre l’ignorance.
Endométriose : un livre pour nos jeunes filles, c’est le nom de l’ouvrage dont vous êtes l’auteur. De quoi il est question et s’adresse-t-il uniquement aux jeunes filles ?
Le livre est un guide complet. Il aborde :
- Les bases de la puberté et des règles pour contextualiser la maladie.
- Une explication scientifique et simple de l’endométriose (causes, formes, symptômes).
- Des conseils pour le diagnostic et le traitement.
- Des témoignages inspirants de jeunes femmes.
Bien que le titre cible les jeunes filles pour les atteindre dès l’adolescence, il s’adresse en réalité à tous les acteurs de leur vie : leurs parents, leurs ami(e)s, leurs éducateurs et même les professionnels de santé qui y trouvent une base solide d’information pour la jeunesse.
Les adultes, notamment les femmes en âge de procréer, souffrent de l’endométriose. Comment ce livre peut les aider à se prendre en charge ?
Les femmes adultes y trouveront un soutien essentiel, notamment celles qui souffrent sans diagnostic depuis des années.
- Réponses aux questions non posées : Le livre répond aux interrogations sur la maladie et les traitements qui ont souvent été négligées par le système médical.
- Dialogue avec la nouvelle génération : Il leur fournit le langage et les outils pour parler de la maladie avec leurs propres filles, brisant ainsi le cycle de l’ignorance.
- Mise à jour des connaissances : Même si les traitements sont présentés de façon simplifiée, l’ouvrage est basé sur les connaissances actuelles et peut servir de base de discussion avec leur gynécologue pour explorer de nouvelles options de prise en charge.
Comment reconnaître les symptômes de la maladie ? C’est possible de se guérir ?
Pour reconnaître les symptômes, il faut d’abord retenir ceci : une douleur qui empêche de vivre n’est pas normale.
Les signaux d’alerte incluent :
- Des règles très douloureuses et incapacitantes (dysménorrhée).
- Des douleurs pendant les rapports sexuels (dyspareunie).
- Des douleurs au moment d’aller à la selle ou d’uriner pendant les règles.
- Une fatigue chronique inexpliquée, des troubles digestifs sévères.
Quant à la guérison : MALHEUREUSEMENT, il n’existe à ce jour pas de traitement curatif pour guérir définitivement de l’endométriose. Les chercheurs travaillent activement, mais pour l’instant, on ne guérit pas.
Cependant, il y a beaucoup de solutions pour diminuer les douleurs invalidantes et les symptômes. On peut vivre une vie normale grâce à :
- Des traitements hormonaux (pilules contraceptives, analogues, etc.).
- Des traitements antalgiques.
- Une chirurgie ciblée.
- Un accompagnement pluridisciplinaire (kinésithérapie, ostéopathie, nutrition, soutien psychologique).
Le but du traitement est de permettre à la femme de mener une vie normale, malgré la maladie.
Vous allez faire le lancement de votre ouvrage à la faveur d’un thème « Endométriose : Reconnaître, Réparer, Libérer ». Que comprendre ?
Ce thème est notre feuille de route pour l’événement et l’aboutissement d’une étape significative de notre engagement :
- RECONNAÎTRE : C’est la phase de sensibilisation. Reconnaître l’existence de la maladie, reconnaître sa souffrance comme légitime, et identifier les symptômes pour stopper l’errance diagnostique.
- RÉPARER : C’est la phase d’action. Réparer les corps par un accès à des traitements adaptés, réparer les esprits meurtris par des années d’incompréhension, et réparer les parcours scolaires et professionnels brisés.
- LIBÉRER : C’est le résultat ultime. Libérer les femmes et les jeunes filles de la douleur, de l’isolement, des tabous et de la précarité. Leur permettre de vivre pleinement, d’être autonomes et de contribuer au développement de leur pays.
La conférence du 25 octobre marque le passage à un niveau supérieur dans notre lutte. Elle est une invitation solennelle aux politiques, aux institutions de santé et à tous les acteurs concernés à s’inscrire concrètement dans ce combat. L’objectif est d’initier des changements structurels pour :
- Améliorer la qualité de vie de celles qui souffrent d’endométriose.
- Faciliter l’accès à une assurance santé adaptée pour les patientes.
- Renforcer la formation du corps médical sur l’endométriose.
- Mettre en place des structures de soutien dans nos écoles pour les jeunes « endogirls », incluant des toilettes propres et des lieux adéquats pour changer de protections menstruelles.
C’est une étape cruciale pour transformer la prise de conscience en actions durables et inclusives.
Propos recueillis par Ida BADJO






