Icône de la musique togolaise et figure emblématique de la scène africaine, Afia Mala célèbre un parcours artistique exceptionnel marqué par une cinquantaine d’années de carrière, neuf albums et des reconnaissances. De ses premiers pas inspirés par les chants traditionnels de sa mère à Vogan, jusqu’à son retour marquant avec son album « Identité » en 2019, elle a su imposer sa voix, mêlant rythmes envoûtants et messages engagés. Fière de ses racines et de son héritage, celle qui chante en plusieurs langues pour porter la voix des sans-voix et raconter les histoires de son continent se confie à EkinaMag sur son parcours, ses inspirations et livre un message fort aux nouvelles générations. Lisez plutôt.
Afia Mala artiste, comment est née la passion de chanter ?
C’est en suivant et en écoutant ma mère qui était une cheville ouvrière d’un groupe de femmes chanteuses à Vogan, région du sud du Togo. Elles étaient très douées et toutes pratiquaient d’un instrument et chantaient divinement bien. Elles étaient très sollicitées dans la localité selon les événements comme le mariage, le baptême, la fête traditionnelle etc.… et je peux vous dire qu’elles faisaient vraiment de l’effet et avaient l’art de faire danser les foules par leurs pas de danse et chants du terroir.
Votre carrière artistique a commencé il y a cinquante ans. Quel bilan faites-vous après un regard dans le rétroviseur ?
Je suis une artiste comblée. Je n’ai jamais imaginé que ma musique pourrait être écoutée dans le monde, que mon nom serait une référence en termes de musique et que je puisse être distinguée et primée parmi tant d’autres artistes de renom. Cela n’a pas été facile vous y conviendrez avec moi mais ce que je retiens de ces années, c’est de l’amour. L’amour pour ma passion qu’est la musique, les rencontres que j’ai pu faire sur le plan artistique comme humaine et houlala les voyages à travers les continents (rires) car j’adore voyager.
Pourquoi choisissez-vous de chanter en langues locales, officielle, étrangère comme l’Espagnol ? Quels thèmes abordez-vous dans vos chansons ?
Je chante dans presque toutes les langues parce que la musique est sans frontière. Je sais que la musique d’un artiste doit parler de quelque chose, doit dire quelque chose, doit donner un sens à la vie. Au centre de la vie, l’artiste doit chanter ce qu’elle ou ce qu’il vit tous les jours, ce qui se passe autour de lui parce que avec notre petite voix, nous pouvons parler à la place des sans voix. C’est pour cela que je chante dans toutes les langues. Je chante en Ewé, en Mina, en Ouatchi qui est ma dialecte, en Adja et je chante en Français, en Espagnol, en Swahili, en Malinké, en Soussou, en Dioula. Je chante même dans les langues du Nord du Togo comme un Nawdu, le Kabyé, le Bassar. La musique normalement c’est ça, on doit pouvoir faire véhiculer des messages. C’est pour cela que j’ai choisi de chanter dans beaucoup de langues.
Je chante la vie, ce qui se passe autour de nous, ce que les autres vivent. Il faut aussi être proche des autres pour connaître leurs histoires. Je chante mon histoire aussi, je chante ma vie aussi, je chante pour dire les choses que les autres ne peuvent pas dire. Je chante pour les sans voix.
Après une pause de onze ans dans la foulée de l’album Afia à Cuba avec l’Orquesta Aragon, vous êtes revenue en force en 2019 avec l’album Identité. Que comprendre à travers ce titre ?
Vous savez j’ai toujours été choquée lors de mes voyages. Je vous raconte : j’ai la nationalité française et anglaise, lorsque je tends mon passeport selon le pays pour ne pas trop en dire, on me demande très souvent vous venez d’où madame ? Je comprends que ma couleur de peau intrigue certainement, ce qui ma foi ne devrait pas être le cas je trouve. Ce ressenti et la pause dans ma carrière ont suscité un questionnement profond en moi, qui suis-je ? Il est clair que je suis avant tout une africaine avant d’être citoyenne du monde. J’ai donc travaillé avec mon équipe et mes instrumentistes pendant sept années sur l’album « Identité » qui est un appel au retour aux sources, notre adn, nos us et coutumes, nos croyances, notre terre mère, le cordon ombilical qui me relie à l’Afrique.
Neuf albums durant votre carrière artistique. DJALÉLÉ en 1979, LONLON VÉVIÉ en 1981, ES LA MANANA en 1987, DÉSIR en 1989, PROPHÉTIE en 1995, ANGELINA en 1997, PLAISIR en 2003, AFIA À CUBA AVEC L’ORQUESTA ARAGON en 2008 et IDENTITÉ en 2019. Où puisez-vous l’inspiration pour composer les chansons de ces différents albums avec des rythmes aussi envoûtants ?
La vie, la société, l’humain, le monde et aussi ma famille. Tout est bon pour pondre un titre « vrai ». Je chante la femme, l’enfance et les maux qui minent nos sociétés avec sincérité et sensibilité de femme, épouse et chanteuse qui scrute le monde qui m’entoure.
Ten Homte vous a valu le prix Découvertes RFI en 1984 donc il y a quarante ans. Quel message véhicule cette chanson et dans quelle langue ?
Tout simplement, c’est la terre noire, la terre de nos aïeux que je chante, je suis fière d’être africaine, je suis fière vraiment de mon identité, je suis fière de ma peau noire, je suis fière de tout. Je suis fière de ma culture surtout et je suis fière de qui je suis… Je chante l’Afrique, sa beauté, ses richesses, ses populations. Ces hommes, femmes et enfants qu’elle porte, et l’espoir en de jours meilleurs que souhaite tant le monde. J’ai chanté en Nawdu une langue parlée dans le nord du Togo plus précisément dans la préfecture de Doufelgou.
Que cache le surnom Princesse des rives du Mono ?
La Princesse des rives du Mono n’est pas un surnom ; je suis une vraie Princesse. Mon papa vient du côté du Mono du Bénin Adja et c’est un Prince. Ma mère qui est de Vogan de la famille de Saba Kalipé, c’est une Princesse aussi. Donc des deux côtés, je suis Princesse. C’est pour ça qu’on m’appelle la Princesse des rives du Mono. Ce n’est pas un surnom. Je suis une Princesse et ce n’est pas facile mais je l’assume.
Vous êtes nominée et distinguée au festival international d’histoire d’Aného (FIHA). Vos impressions sur cette reconnaissance ?
A un moment de la vie d’un artiste on n’attend plus les regards extérieurs vous savez ; on se concentre sur des priorités et sujets qui nous touchent directement ou pas. Je suis surprise de cette nomination, je ne m’y attendais pas, et je dis merci au comité pour cette distinction, ça veut dire que les regards sont encore sur moi (rires).
Quels conseils prodiguez-vous aux jeunes filles et aux filles ?
De ce que je sais avec le travail il n’y a pas de complaisance et la facilité dont on connaît la finalité. La vie est dure certes mais quand on y arrive on se rend compte qu’il en valait la peine de tenir car la réussite se savoure.
Merci et bon vent à EkinaMag
Interview réalisée par Ida Badjo