Le mouvement féministe au Togo compte de vaillantes défenseures. Parmi elles, Elsa M’bena BA, infatigable et grande militante qui ne tarit pas d’initiatives pour l’épanouissement de la femme togolaise.
Diplômée en Gestion des ressources humaines, certifiée PMDPro Gestion professionnel des projets de développement de APMG Angleterre, elle a également étudié à l’Académie de Genre et des inclusions sociales.
Auparavant Coordinatrice de plusieurs projets de développement, financés par des institutions telles que UNICEF, Plan international Togo, et après un bref parcours au sein de Amnesty International Togo comme chargée de campagnes et d’activisme, elle travaille aujourd’hui à Plan international Bénin et Togo en tant que Conseillère en Violences basées sur le Genre, santé sexuelle et reproductive et Protection de l’enfance.
Elle est la fondatrice d’Auréole Monde, une Entreprise sociale qui produit et rend accessible des protections hygiéniques réutilisables destinées à améliorer le quotidien menstruel et maternel des filles et des femmes. Outre le recyclage et l’emploie des jeunes femmes en fin d’apprentissage, les bénéfices de cette entreprise financent directement l’accompagnement des survivantes de VBG.
Elle est l’une des fondatrices du Mouvement féministe Girls’ Motion, qui est un mouvement de filles par les filles et pour les filles qui travaille en collaboration avec les garçons pour créer un monde d’égalité genre au Togo et dans le monde.
Blogueuse et web Activiste, elle a initié la communauté « LES NEGRESSES FEMINISTES« , une communauté qui a pour objectif d’amener les militants et militantes Féministes du Togo entre eux à se protéger, face aux défis du harcèlement de ces dernier.e.s.
Elle anime les plateformes en ligne « les Négresses Féministes » et ‘’Elsa M’béna BA’’.
Mère d’une petite fille de 4ans, avec son couple entièrement engagé, ils poursuivent la quête de l’égalité au quotidien sous son slogan et phrase de motivation incontournable : « Ne pas prendre parti, c’est prendre parti pour l’injustice« .
C’est une femme décidée et mue de ses convictions qui a accepté de répondre aux questions d’Ekinamag.
Quelle est votre définition du féminisme ? C’est quoi être féministe au Togo ?
Être féministe au Togo et ailleurs veut dire exactement la même chose : prôner avec sa vie et ses luttes, l’idéologie d’égal pouvoir entre les femmes et les hommes ; militer pour abattre le patriarcat, ce système d’oppression masculine sur les femmes ; c’est un combat qui vise à éradiquer les inégalités et ce dans les tous les domaines (politiques, économiques, sociales).
Qu’est-ce qui vous motive dans ce combat que vous menez avec tant de passions ?
La justice. Tout humain y a droit. En tant que femme, je pense et crois fermement que mes différences physiques avec les hommes ne devraient ériger aucune règle de suprématie de ces derniers sur ma personne. AUCUNE.
Parlez-nous de vos différentes initiatives puisque vous en avez plusieurs à votre actif !
À part ma profession où j’exerce en tant que spécialiste en Violences basées sur le Genre et Droits à la santé sexuelle et reproductive pour Plan International Togo et Bénin, je suis membre fondatrice du mouvement Girls’Motion, qui rassemble un peu plus de 600 jeunes membres sur le territoire togolais ; c’est un mouvement de fille par les filles et pour les filles qui travaillent avec les garçons pour l’atteinte de l’égalité au Togo. Je suis également la fondatrice de l’entreprise sociale Auréole monde qui rend accessible des protections menstruelles réutilisables saines pour les filles et femmes du pays. Web activiste, j’anime le blog SimpleCitoyenne qui écrit sur les VBG et les droits sexuels et reproductifs ; j’interviens en tant que consultant pour des formations, conférences, sensibilisation, émission radios tv sur ces thématiques. Par ailleurs je suis initiatrice de la communauté des Négresses Féministes du Togo, qui rassemble les militants féministes du pays, pour leur assurer protection et synergie d’action.
Pourquoi les « négresses féministes », quand on sait que « négresse » a plutôt une connotation péjorative ?
Le terme ‘’Féministe’’ lorsqu’il a été employé pour la première fois par Alexandre DUMAS Fils en 1872, était péjoratif aussi, et c’était pour désigner les hommes qui se permettaient de défendre le droit des femmes à vivre aussi librement que les hommes.
Bien que le mot ‘’Nègre’’ et ses dérivés soient péjoratifs, ‘’la Négritude’’ fut un courant fièrement créé et revendiqué par Aimé Césaire, et ses amis Léon Gontran Damas et Senghor. Césaire la définit ainsi : « La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. » (Liberté 3, pp. 269-270.)
Négresse et féministe est une revendication claire de notre statut de femmes Noires et Féministe.
En plus ce n’est pas nous qui avons commencé, c’est eux qui m’ont traité de « Noir et féministe » comme s’il y avait une contradiction à l’être. Je n’ai fait que le porter avec toute la fierté possible et décider que ces pierres qu’ils étaient en train de me jeter, serviront à construire l’un des plus grands mouvements féministes à apporter le changement réel de mentalité dans mon pays.
Parlez-nous un peu plus de votre entreprise sociale Auréole Monde !
Auréole Monde est une entreprise sociale qui conçoit des protections hygiéniques lavables adaptées et saines pour les menstruations des filles et femmes.
En plus d’être hyper-absorbantes, confortables, agréables à regarder, et à la bourse de la citoyenne moyenne, nos serviettes menstruelles contribuent à la protection de l’environnement.
Nous offrons également formation/Sensibilisation sur la Gestion de l’hygiène Menstruelle aux différents acteurs de développement, aux filles scolarisées et extra-scolaires des milieux ruraux comme urbains.
Nous employons des jeunes femmes (mères souvent), en fin du métier d’apprentissage du métier de couture qui n’ont pas les moyens de s’offrir leur propre atelier de couture, leur offrant ainsi ce premier job avec un cadre flexible qui leur permette de travailler avec leurs bébés sur les lieux. Les bénéfices de l’entreprise servent à l’accompagnement des victimes de violences (sexuelles, conjugales, de genre etc) dans leur processus de dénonciation et réparation. Nous recyclons des chutes de tissus des ateliers de couture de Lomé auxquelles nous donnons une seconde vie dans la production de nos serviettes.
Avez-vous eu des reconnaissances ou prix pour votre engagement ?
Le dernier en date est celui du Challenge Total Energy ou j’ai été primée « meilleure entrepreneure de l’année ». En vrai je n’aime pas beaucoup parler de mes prix et reconnaissances. Je pense qu’on devrait toutes faire ce que je fais et qu’il n’y a pas de récompense à recevoir pour l’avoir fait.
Que répondrez-vous à ceux qui pensent que « les féministes sont des femmes célibataires aigries qui déclarent la guerre aux hommes » ?
Je crois qu’ils ont raison de penser ça. Oui, je crois qu’ils n’ont, en tout cas, pas tords, de le penser.
« Les féministes sont des femmes… » Oui essentiellement, puisque ce sont les femmes qui subissent plus, les inégalités de Genre. Mais les hommes féministes reconnaissent les inégalités et privilèges dont ils jouissent et se tiennent aux côtés des femmes dans la lutte pour l’égalité. Je ne sais pas si ça fait d’eux aussi des femmes. En tout cas, être traité de ‘’Femme’’ aux dernières nouvelles est une insulte donc qui sait ?
« Célibataires aigries… », si ce n’est pas leur choix que d’être célibataires et qu’elles le sont juste parce qu’elles refusent d’être soumises/servantes/esclaves d’un homme, ou encore qu’elles sont célibataires parce qu’elles refusent de subir des violences physiques sexuelles psychologiques ou même économiques venant d’un mari, ou encore qu’ elles refusent tout simplement de se plier sous le poids des attentes sociales qui ne leur reconnaissent de valeur que lorsqu’elles sont mariées ou ont des enfants, ou parce que les hommes en mal avec leur masculinité cherchent des femmes à qui ils peuvent faire faire ou croire n’importe quoi sans oppositions … il y a quand même de quoi être aigrie en fait. Parce que les féministes célibataires dont le choix est de ne pas se marier ne sont pas aigries, elles sont même les plus épanouies que je connaisse.
« Qui déclarent la guerre aux hommes », nous combattons un système patriarcal qui malheureusement accorde aux hommes depuis des millénaires, énormément de privilèges. Si en tant que homme tu ne veux pas comprendre et dénoncer ce système, et que tu te mets au lieu de ça, du côté du système et ce, peu importe l’argument que tu mobilises (nature, culture, religion, tradition etc …) alors oui tu te sentiras en GUERRE contre les féministes. « Les guerres tuent. Et encore plus le camp qui ne sait pas qu’il est en guerre et Dieu sait combien de femmes sont déjà tombées ». Le féminisme ne sera pas une guerre contre toi si tu es du côté du féminisme.
En termes politiques, que souhaiterez-vous pour les filles et les femmes togolaises ?
L’Égalité. Participation égale, listes électorales non paritaires et non zébrées invalidées systématiquement. Un gouvernement paritaire puisque ce sont des postes nominatifs. Les filles et les femmes partout représentées dans les instances où se prennent les décisions de gestion du pays puisqu’aucun pays ne peut espérer atteindre le point culminant de son développement en laissant la moitié de sa population de côté.
Le Deuxième colloque des féministes du Togo organisé par « Les Négresses Féministes », que retenir ?
Le premier colloque en Octobre 2020, avait servi à parler du féminisme dans son ensemble et dans sa contextualisation sur le continent et dans notre pays le Togo. Il avait réuni les féministes et non-féministes autour des réflexions sur les orientations à donner à la lutte dans notre pays.
Le deuxième colloque s’est déroulé les 22 et 23 Octobre dernier à Lomé autour du thème « Bien-être mental des militantes féministes » et a vu la participation de 6 pays de la sous-région. Il n’a réuni que des féministes qui se revendiquent comme tel et qui l’assument, afin de partager sur des thématiques de bien-être et les priorités de l’heure dans le pays autour de la cause. Les séances pratiques et bien-être et relaxation comme le massage, soin de visage, guérison naturelle etc ont été des instants appréciés des participants.
La communauté s’agrandit chaque jour un peu plus lorsque de plus en plus de personnes ayant vécu le colloque, s’engagent sous le label des « Négresses Féministes ».
« Ne pas prendre parti, c’est prendre parti pour l’injustice » Expliquez-nous cette phrase de motivation qui est votre slogan ?
Lorsqu’on arrive à un moment dans la vie, où il faut prendre une décision importante cruciale vitale, pour une grande majorité, les personnes qui décident de ne pas se prononcer ont déjà servi le mauvais camp, peu importe lequel c’est. Ils ont donné moins de force dans tous les cas au bon camp et cela sert le mauvais camp et ce même s’ils ne savent pas lequel est le bon ou le mauvais. Autrement dit, si en matière de justice sociale, tu dis que toi tu n’as aucune partie prise, tu sers involontairement l’injustice.
Vos conseils aux jeunes filles qui vous lisent
Je n’en ai pas. Moi-même je suis ‘’une fille qui me lis’’ aussi. Et le seul conseil que je peux me donner à moi-même et donc à elles aussi, c’est que le chantier pour entrer en possession de ce qui nous est dû est vaste, et si nous ne nous levons pas pour le faire, personne ne viendra le faire à notre place, surtout pas eux. Et si vous pensez ne pas pouvoir le faire seules, rappelez-vous qu’il y toute une armée qui le fait et se fera une joie de vous accueillir.
Propos recueillis par Hélène DOUBIDJI