Rosaline Tsekpuia a été mordue très tôt par la passion de l’efficacité et le désir de se rendre toujours plus utile. Sa formation d’agronome et son dévouement en tant qu’activiste féministe semblent rejoindre la même lutte, celle de mettre son potentiel immensément diversifié au service de tous. Celle qui, dès le banc de l’école ne tolérait pas être traitée différemment des garçons, a accepté de répondre aux questions de votre webmagazine EkinaMag.
« Ça n’a aucun sens qu’on attribue des tâches et des rôles aux gens en fonction du sexe avec lequel ils ont eu le malheur ou le bonheur de naître. Plus je comprenais ce qu’étaient les stéréotypes, plus je me rendais compte des violences qui en découlaient, surtout pour les femmes et les filles, plus je ressentais l’envie de poser des actions pour contribuer à un monde égalitaire ».
S’il vous plait, présentez-vous à nos lecteurs !
Je suis Rosaline TSEKPUIA, agronome de formation et une activiste féministe. A travers mes expériences professionnelles et associatives, j’ai acquis des compétences transversales en communication, gestion et analyse de projet et conception graphique.
Agronome de formation, revenons brièvement sur vos études et dites-nous vos ambitions pour le secteur agricole au Togo ?
Depuis toute petite je suis passionnée par le monde végétal et la production agricole. La reproduction des plantes est quelque chose qui me fascine jusqu’à présent donc c’était sans surprise que j’ai opté pour faire une licence en production végétale à l’Ecole Supérieure d’Agronomie.
Même si je n’exerce pas encore pleinement dans le secteur, mon rêve serait de pouvoir agir sur les politiques et stratégies de développement afin que la recherche agricole y occupe une place importante.
Nous n’avons que très peu de centres de recherche agricole qui sont d’ailleurs mal équipés. Et pourtant nous savons tous que l’Agriculture est le socle de notre économie. Pour la création d’emploi nous misons sur l’Agriculture, nous parlons de chaines de valeur. Mais pour avoir des actions efficientes, il faut de la recherche.
Si près de 50 % de notre population vit de l’agriculture et que pratiquement le même pourcentage est en dessous du seuil de pauvreté, cela veut dire qu’il y a un problème. Il y a des choses qui ne sont pas bien faites. La recherche nous amène à nous poser les bonnes questions et à trouver les réponses pour des politiques adaptées et efficaces.
Certes les conditions de production sont similaires dans la sous-région mais pas identiques. Nous pouvons nous inspirer de ce qui a été fait pour un moment mais c’est nécessaire de produire des conaissances scientifiques propres à notre milieu. Et ensuite trouver un moyen de vulgariser les résultats de ces recherches à toutes les couches de la population.
Vous faites également un Master en Phytopathologie, quel est votre intérêt pour cette filière ?
Au fil de mes recherches, j’ai constaté que l’une des plus grandes menaces à la production agricole au Togo et dans la majorité des pays africains, c’est la pression parasitaire, les maladies et les insectes qui s’attaquent aux plantes et auxquelles on arrive difficilement à faire face. Le paradoxe est qu’on a très peu d’Expert en Maladie des Plantes en Afrique de l’Ouest. J’ai trouvé qu’il serait dès lors intéressant de me former dans ce domaine pour être utile.
Parlons maintenant de votre activisme et des raisons de votre engagement sur les questions de violences basées sur le genre, de la sexualité et santé reproductive, du leadership de la Jeune fille
Mon activisme a commencé depuis le primaire. Je détestais qu’on me traite différemment des garçons compte tenu du fait que j’étais une fille. Et je n’hésitais pas à dire le fonds de mes pensées. C’était sans surprise qu’on me trouvait déjà arrogante à l’époque à cause de mes prises de parole et position.
Mon entourage n’était pas encore habitué à avoir une fille. Mais je ne savais pas encore ce qui dérangeait et pourquoi. C’est en 2017 que j’ai pu identifier d’abord que c’étaient les rôles de genres, que cela n’avait rien de normal, n’avait aucune base scientifique et n’était pas juste. Ça n’a aucun sens qu’on attribue des tâches et des rôles aux gens en fonction du sexe avec lequel ils ont eu le malheur ou le bonheur de naître. Plus je comprenais ce qu’étaient les stéréotypes, plus je me rendais compte des violences qui en découlaient, surtout pour les femmes et les filles, plus je ressentais l’envie de poser des actions pour contribuer à un monde égalitaire. Donc j’ai commencé en suivant des formations, puis en allant faire des sensibilisations dans les écoles et autres places publiques, en créant et militant dans un mouvement de jeunes.
Quelles sont les organisations dans lesquelles vous militez ?
Quand j’ai commencé à m’intéresser à cette cause, je ne connaissais aucune organisation qui m’inspirerait assez pour m’engager. Mais j’ai eu l’opportunité de rencontrer des filles qui voulaient s’engager comme moi aussi et d’autres qui avait déjà eu une expérience associative fournie. Ensemble nous avons décidé de créer le Mouvement Girls’ Motion. J’ai servi pendant 3 années à la coordination, nous avons réussi à poser les bases du Mouvement tel qu’il est actuellement.
Je fais partie aussi de la communauté des Négresses Féministes qui regroupe les militantes qui sont féministes, l’assument et le réclament comme identité. C’est plus un groupe de partage et de soutien entre féministes mais nous menons aussi des actions ciblées de temps à autre.
« Filles aux commandes », qu’est-ce que cette expérience vous a apportées ?
Tout. Pour moi, en matière d’activisme, tout a commencé avec Filles aux commandes. J’y ai rencontré des amies et mes premières et plus chères camarades de lutte. C’est dans ce programme que j’ai eu accès aux premières informations et compétences sur le genre et les inégalités, ainsi que les premières opportunités de sensibilisation de mes pairs. J’y ai rencontré des personnes, hommes comme femmes qui m’inspirent énormément dans la lutte pour l’égalité et sur lesquelles je sais toujours pouvoir compter.
Les « Filles aux commandes », c’est le premier tremplin sur lequel mon activisme a eu l’occasion de bondir.
Vous avez mené plusieurs activités avec les personnes vulnérables, notamment les femmes, les enfants, les personnes vivant dans la rue. Parlez-nous de ces actions et des différentes initiatives auxquelles vous avez participé.
Je ne pourrais lister les activités dans un seul article donc je vais essayer de résumer.Donc avec le Mouvement Girls’ Motion, nous avons travaillé sur des questions telles que la violence sexiste (sensibilisation du public, soutien aux victimes), le leadership citoyen (éducation et renforcement des capacités), l’autonomisation des femmes et des filles, la santé et les droits sexuels et reproductifs. J’ai travaillé avec plus de 1000 femmes et filles sur ces différents sujets.
En ce qui concerne les enfants des rues, j’ai eu l’occasion de travailler directement avec eux sur un projet de Halsa International. En janvier 2021, j’ai donné des cours sur une période d’un mois (8 cours au total) sur la santé et les droits sexuels et reproductifs à un groupe d’adolescents, pour déconstruire les comportements sexuels malsains qui sont transmis dans leur milieu. J’ai continué à travailler avec eux jusqu’en avril 2021, mais surtout en tant que membre de l’équipe de communication.
En général je mets à profit les compétences que j’ai, que ce soit en gestion de projets, en communication, design graphique au profit des organisations dans lesquels je passe.
Jeune ambassadrice de l’UNICEF Togo, pourquoi avez-vous été choisi ?
Je pense que c’est parce que j’ai travaillé sur des thématiques liés aux enfants, plus précisément les violences faites aux enfants et la nutrition. Ce sont des thématiques sur lesquels l’UNICEF intervient. Donc pour leur programme de jeunes ambassadeurs, je faisais partie des profils qui les intéressaient. J’étais donc une bonne candidate pour servir de pont entre les aspirations de la jeunesse et la mission de l’UNICEF au Togo en lien avec les droits des enfants au Togo.
Vous êtes aussi ambassadrice pays d’ impactMarket, quel est votre rôle ? (Expliquez d’abord de quoi s’agit-il)
ImpactMarket est un protocole d’autonomisation qui fournit des solutions financières accessibles et des connaissances pour autonomiser les personnes défavorisées dans le monde entier. Nous voulons vraiment être un outil pour l’inclusion financière de ceux qui sont vulnérables et n’ont pas accès aux banques. Avec le protocole, des communautés sont capables de percevoir un revenu basique inconditionnel.
Mon rôle en tant qu’ambassadrice pays est de chercher et discuter et construire des partenariats avec les organisations et les communautés, les assister et former les bénéficiaires ainsi que les gestionnaires sur l’utilisation de l’application et tout autre besoin, créer des partenariats pour le bon déroulement du projet au Togo.
En pleine Covid, Rosaline TSEKPUIA a formulé des solutions hydro alcooliques adaptés pour les nettoyages des surfaces qu’on ne peut pas laver, portables, ordinateurs, portières de taxi… Nous aimerons en savoir plus.
Face à la pénurie de gel hydroalcoolique qu’il y a eu, plusieurs personnes se sont mises à fabriquer des solutions hydroalcooliques pour les mains. Deux de mes amis à l’époque voulaient se lancer dans la production et commercialisation de gels hydroalcooliques.
L’objectif était de fabriquer du vrai gel, consistant et clair. Pas la solution liquide. Mais ce n’était pas facile parce qu’on n’avait pas le matériel adéquat à disposition. On a dû le fabriquer nous-mêmes.
En attendant, il fallait faire rentrer l’argent dans la caisse. La formule de l’OMS pour les solutions hydroalcooliques ressemblait partiellement à la formule que j’utilisais au laboratoire pour désinfecter ma table et instruments de travail avant et après manipulation des virus pour éviter des contaminations. Ensemble, on a donc eu l’idée de faire différemment des autres et de plutôt faire un désinfectant adapté pour les surfaces. C’était challengeant de trouver toutes les solutions chimiques nécessaires à Lomé mais on l’a fait et on a réussi.
Entre temps, après plusieurs tests nous avons aussi réussi à fabriquer du gel hydroalcoolique et l’avons aussi commercialisé.
Même si nous n’avons pas continuer pendant longtemps, c’était l’une de mes expériences entrepreneuriales les plus enrichissantes et qui m’a permis de comprendre l’importance d’une unité de recherche dans une structure de production.
Un message aux jeunes filles pour qui vous êtes un modèle
Faîtes vos propres recherches. Posez vous des questions, faites des hypothèses et trouvez un moyen de vérifier ses hypothèses. Ne soyez pas des bénies oui-oui. Ne laissez personne venir vous imposer une unique manière de faire les choses sous prétextes que cela a toujours été fait de cette manière. Certes il faut s’inspirer de ce que les autres font, mais c’est en remettant tout en cause que vous serez capable de développer votre esprit critique et découvrir de nouveaux horizons.
Propos recueillis par Hélène DOUBIDJI