Elle se démarque dans son domaine par une grande passion vouée au travail. Kokoè Essenam KOUEVI est convaincue que les psychologues ont un grand rôle à jouer dans nos sociétés africaines en dépit de ce que beaucoup pensent. Embrassant son métier avec ferme conviction, la jeune femme togolaise qui officie à l’hôpital psychiatrique en Bourgogne France Comté, continue de lutter autant dans l’exercice de son métier que dans l’écriture, une seconde passion, pour inviter au bien-être et à la bonne santé. Celle qui poursuit ses études pour une thèse en psychologie sociale sur la thématique de la pratique de la fécondation in vitro dans le contexte de la PMA au Togo, s’est confiée à Ekinamag
Veuillez-vous présenter ?
Je suis Kokoè Essenam KOUEVI, jeune femme togolaise, psychologue de la santé de formation et clinicienne de profession dans un hôpital psychiatrique en Bourgogne France Comté. Je poursuis mes études pour une thèse en psychologie sociale sur la thématique de la pratique de la fécondation in vitro dans le contexte de la PMA au Togo. J’étudie les pratiques sociales.
Dites-nous un peu plus sur votre parcours ?
J’ai eu une licence en psychologie de la santé au Togo. Puis j’ai eu un Master II en psychologie sociale spécialisée, option santé. Et actuellement, je prépare une thèse en psychologie sociale.
Pourriez-vous mieux nous éclaircir la thématique de « la Fécondation In Vitro (FIV) dans le contexte de la PMA au Togo » ?
Cela fait trois ans que je suis intéressée par la question de la biotechnologie embryonnaire c’est-à-dire tout ce qui touche à l’embryon humain, les recherches sur les embryons, la manipulation d’embryon etc. Et étant psychologue sociale, je travaille plus avec la théorie des représentations sociales. Du coup pour ma thèse, j’ai décidé d’étudier les représentations dans le contexte social au Togo avec notre culture et notre tradition qui sont assez particulières, et voir comment ces représentations sont mises en place et comment elles influencent les décisions de faire ou de ne pas faire la FIV et qui peuvent plus tard influencer le regard qu’on peut porter sur les enfants issus de ces pratiques sachant qu’en Afrique, avoir un enfant, c’est très important.
Dites-nous, trois ans après, la recherche continue ou si elle a pris fin quel est le constat auquel vous avez abouti ?
J’avais déjà commencé par étudier cela dans le contexte français en Master où j’ai étudié la représentation de l’embryon dans le cadre de la validation de mon Master, la représentation de l’embryon et sa manipulation dans le contexte français. C’est en 2ème année de Master en 2020-2021 que j’ai travaillé sur la représentation de l’embryon au Togo. Et là on s’est rendu compte que le mot embryon n’existe pas dans les langues du Togo et que des gens utilisent des mots de substitution pour le désigner. L’embryon est un concept polymorphe qui se rattache beaucoup au terme de la grossesse puisque pour nous africains, l’enfant existe dès la conception sinon dès la réalité de l’idée, on n’a pas cette distinction des différents stades de la progression de la grossesse. Cela s’inscrit dans un continuum, donc cela structure notre idée. L’embryon est représenté au Togo comme un futur enfant. Le début de la vie dès la conception c’est ce que l’on pense. C’est donc ces représentations qui vont orienter le regard que les gens ont sur tout ce qui est avortement, tout ce qui est manipulation de l’embryon, tout ce qui est intervention sur l’embryon. Au Togo aujourd’hui, l’étape la plus avancée qu’on a de la manipulation de l’embryon c’est la FIV (Fécondation In Vitro).
Quelle est la différence entre un psychologue social et un clinicien ?
La psychologie sociale est orientée vers les gens, c’est le fait de comprendre le comportement des gens dans la communauté voire les groupes sociaux. Le psychologue social étudie comment les gens pensent leur monde, comment ce monde s’organise et comment amener les gens à adopter tel ou tel comportement. Moi je suis spécialisée dans la psychologie sociale de la santé et mon travail consiste à étudier le comportement des gens par rapport à la prise de risques en milieu sanitaire en m’inspirant de tout ce qui est science humaine, psychologie, anthropologie même de l’économie. Tout cet ensemble amène les gens à penser leur monde.
Le clinicien, c’est quelqu’un qui est à l’hôpital, qui fait du suivi, des psychothérapies, qui est en contact avec les patients tous les jours. Ce n’est pas sociétal mais une pratique plus individuelle du soin.
Pourquoi l’option santé vous tient-elle à cœur ?
L’option santé me tient à cœur surtout parce qu’il y a le besoin chez nous au Togo et en Afrique en général quand on voit tous les comportements à risque que nous adoptons. Et ce n’est pas un jugement mais un constat. Si nous prenons le cas d’un patient qui va à l’hôpital et à qui le médecin prescrit un médicament avec une certaine posologie peut être 1 produit le matin, 1 le soir. On lui vend le médicament et le pharmacien prend le soin de lui mettre des traits sur la boîte pour lui indiquer la posologie. Il rentre à la maison et demande à son voisin qui a déjà utilisé ce médicament comment il avait pris le médicament. Lorsque celui-ci va lui dire par exemple qu’il le prenait 1 matin, 1 midi, 1 le soir, il oublie tout ce que le médecin lui a dit et fait ce que son voisin vient de lui narrer. Ce comportement de santé à risque, un psychologue social peut s’y intéresser et voir pourquoi il y a ce comportement et comment y remédier. Il y a également le fait que dans notre pays, les gens surnomment les hôpitaux, des ‘’mouroirs’’. Du coup, il y a cette crainte de l’hôpital parfois qui peut faire l’objet d’étude d’un psychologue social. Dans le contexte de nos pays, le psychologue social est très utile, même pour comprendre , expliquer et remédier à des comportements non civiques.
Quelle est l’importance du psychologue dans la société de manière générale ?
En Afrique et plus particulièrement au Togo que je maîtrise mieux, le psychologue a un grand rôle à jouer. Tout dépend également de la psychologie envisagée. Chez nous, il y a 3 options : la psychologie du travail et des organisations, la psychologie de l’éducation et de la formation, la psychologie de la santé clinique. Quand je prends la psychologie du travail et des organisations, ce sont des gens qui peuvent être recrutés dans les entreprises et les services et qui peuvent identifier des difficultés qu’un membre du personnel a, et proposer des solutions. Il est là pour éviter des burn- out des employés, identifier les problèmes sous-jacents qui peuvent conduire à cela et orienter les concernés vers les professionnels qui peuvent les aider et travailler aussi sur la structure, l’organisation interne, la communication et la dynamique sociale au sein des entreprises
En ce qui concerne un psychologue de l’éducation, il intervient sur les difficultés au niveau scolaire, par exemple dans l’orientation. Il peut intervenir au niveau des enfants en difficulté particulière, chose qu’une personne non formée dans le domaine aura du mal à déceler.
Et le psychologue clinicien est cette personne qui s’occupe du bien être psychique des gens.
Qui peut faire appel à un psychologue et à quel moment ?
Tout le monde peut faire appel au psychologue. Un professionnel qui a un quotidien lourd à gérer pour prévenir les difficultés ou une personne qui traverse certaines difficultés ou qui a un traumatisme. Le psychologue clinicien a pour mission de faire un accompagnement individuel pour préserver la santé psychique des personnes et peut intervenir dans les structures de soins comme en cardiologie, neurologie et autres parce que certaines maladies physiques ont un versant psychologique, par exemple les crises d’ulcère sont dues parfois au stress. Le médecin guérit l’ulcère mais tant que le facteur qui est à la base existe toujours , la maladie revient. Ce qui suppose qu’il faut d’abord guérir au niveau psychique sinon la guérison physique est temporaire.
Il est souvent dit que les psychologues, c’est bon pour les riches ou dans les pays développés, qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas vrai. Il y a des gens qui disent souvent qu’ils n’ont pas besoin de psychologue comme souvent je l’écoutais dans le centre où je travaillais mais qui comprennent après une séance avec les psychologues qu’ils en avaient besoin. C’est vrai que dans notre pays, ce n’est pas vulgarisé l’idée de voir un psychologue et les séances sont parfois chères mais face à certaines problématiques, il faut aller voir un psychologue même dans les relations de couple. Il y a des pathologies liées à un dysfonctionnement dans la famille.
A quelle fréquence peut-on consulter un psychologue ?
Cela dépend du problème. Et si la personne est dans une thérapie, cela dépend de la thérapie. Cela va d’une fois par semaine à une fois par mois. Tout dépend également de l’évolution de l’état de la personne. L’individualité et la problématique jouent beaucoup dans la prise en charge. Et après on détermine le type de soins et l’accompagnement adéquat. Parfois, il faut être humble pour réorienter le patient vers la thérapie idoine quand le besoin se fait sentir.
En dehors de votre profession, vous avez également d’autres passions. Lesquelles ?
Il y a l’écriture, la danse, la lecture. J’aime chanter juste que je chante faux (rire). Et il faut reconnaître que l’écriture domine.
Parlant d’écriture, vous avez fait de la poésie, publié quelques romans. Quelle est votre source d’inspiration ?
La société, le monde qui m’entoure, le quotidien et mes ressentis intérieurs.
Quels sont les thèmes que vous abordez souvent ?
Dans le premier roman intitulé ‘’Miriam ou la rose noire’’, j’étais plus dans l’engagement social avec des thèmes comme le viol, l’inceste, la prostitution, la maltraitance des enfants…Et dans le second, un recueil de 5 nouvelles, j’ai plus abordé les thématiques du chômage des jeunes, les mystères et les croyances africaines, l’inconnu du quotidien. Après, j’ai participé à un projet dénommé ‘’Mot à Maux’’ du club Le Littéraire, un recueil de 10 nouvelles écrites par des togolais et dans ce recueil j’ai parlé de l’immigration. Dans mes 2 derniers livres, j’ai abordé les thématiques de l’amour et la guerre entre autres.
En tant que psychologue sociétale et clinicienne, quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes filles qui ont tendance à s’exposer sur les réseaux sociaux sans pudeur
Les réseaux sociaux constituent une vraie révolution de nos jours. Avant c’était difficile de découvrir une star si ce n’est pas dans des magazines spécialisés. Mais avec les réseaux sociaux, c’est plus facile. Il suffit juste de faire des vues. Il faut aussi reconnaître que dans l’évolution de la personnalité, il arrive une période où on a envie de s’affirmer, de se faire connaître. C’est cette quête de reconnaissance qu’on qualifie souvent de crise d’adolescence. Et les réseaux sociaux facilitent cela aujourd’hui. La crise s’accentue quand on a comme l’impression de ne pas être écouté. Donc avec les réseaux sociaux, il y aura forcément quelqu’un dans un coin qui va apprécier ce que vous proposez comme votre nudité ou autres et liker voire vous encourager. Mais lorsque plus tard, vous serez à la quête d’un boulot et que vous vous retrouvez devant cette même personne qui vous adule sur les réseaux sociaux, elle vous dira qu’elle vous connaît et que votre image ne cadre pas avec leurs valeurs.
Oui, on a envie d’être validé surtout nous africains dans une certaine frénésie de quête d’appréciation ou de validation, séquelle peut être de l’esclavage et du colonialisme. Quand on grandit, on est en train de se construire et ce serait dommage de laisser des traces qui vont se retourner contre nous plus tard. Il faut savoir quoi faire et être prêts à les assumer plus tard.
Et aux femmes adultes qui s’exposent ?
Il faut d’abord savoir ce qu’elles recherchent en s’exposant nues. Et est-ce la bonne manière ? Au Togo, notre éducation est pudique et basée sur le respect. Ce que l’on fait nous suit et peut nuire à nos proches. Nous ne portons pas que notre image mais celle de notre famille dont nous traînons le nom. Il faut préserver ce nom et ne pas seulement copier ce que les autres qui ont une autre culture, font. Nous avons nos réalités.
Avec ces réseaux, nous perdons nos valeurs au détriment des vues et de l’argent à gagner. C’est dommage. Il faut savoir prioriser nos attentes et je parle en tant que Togolaise connaissant nos réalités, il faut être pudique car c’est l’une de nos valeurs.
Interview réalisée par Ida BADJIO