Village de pécheurs, situé au bord de l’océan, à quelques encablures du Port de pêche de Lomé, Katanga est privé de quasiment tous les services sociaux de base. Dans cette favéla où misère et précarité se côtoient, les femmes se battent pour leur survie et impactent la communauté.
Un endroit typé qui souffre d’une flopée de problèmes sociaux. Délinquance juvénile, insalubrité, épidémie, mal-logement, analphabétisme… à katanga les habitants connaissent toutes les souffrances liées aux milieux difficiles. Ici, les logements précaires s’alignent sur la côte. A l’intérieur de ces abris de fortunes dépourvus de sanitaires adéquats, règne un désordre sans nom. Dans les ruelles, les déchets insalubres mélangés d’eaux usées demeurent. A la plage et ses alentours, les populations défèquent à l’air libre, sans assurément d’autres choix. Il n’y a que deux latrines publiques pour les centaines d’âmes que regorge le village. Et il faut payer 50 F CFA pour en avoir accès. Chose difficile dans ce bidonville où les habitants sont démunis. Il n’y a pas non plus d’eau potable. Les gens s’abreuvent de l’eau du puits impropre. Les points d’adduction d’eau potable installés, ne sont plus opérationnels depuis belle lurette. Les ordures ménagères, quant à elles, sont déversées dans un wagon usé plein à craquer, rarement évacué, créant une atmosphère propice aux épidémies qui d’ailleurs sont récurrentes.
A proximité du wagon poubelle casé au cœur du village, se trouve un centre de santé à l’agonie. L’infrastructure sanitaire dépouillée d’équipements nécessaires, jouxte un mini marché, qui s’anime au quotidien. Nous y avons rencontré, « Apolline », 12 ans. La fillette fluette au teint noire vend de poissons aussitôt fumés. Nadège n’a jamais été ni à l’école, ni mise en apprentissage. Depuis son bas âge, elle aide sa mère à fumer et vendre du poisson, à l’instar de nombre de ses amies. Comme un rituel, presque toutes les filles de Katanga sont initiées à manipuler du poisson très tôt. « Nos grands-mères et nos mamans sont des transformatrices de poissons, nous suivons leur pas. Même les quelques filles qui vont à l’école savent toutes fumer du poisson », explique la demoiselle. Et à « Djodji », la vielle dame dont l’étalage fait face à celui de l’adolescente de renchérir : « aucune fille ne peut naitre à Katanga, sans savoir fumer du poisson. Ce n’est pas possible », précise-t-elle. En effet, à Katanga les hommes exercent la pêche alors que le traitement et la commercialisation des captures incombent aux femmes. Elles sont venues de divers horizons. Parmi elles, il l’y a des ghanéennes, togolaises, béninoises… Spécialisées dans le salage, séchage et fumage de poissons, ces braves femmes qui alimentent le Togo de poissons transformés, habitent ce capharnaüm où l’espace de travail et de vie se trouvent confondus. Courageuses, dynamiques et vaillantes, elles s’activent nuit et jour avec détermination pour la cause du bien-être familial et de la communauté, faisant fi des difficultés.
Un travail pénible et risqué qui vaut son pesant d’or
L’importance des produits de pêche dans l’alimentation des populations n’est plus à démontrer. Principales pourvoyeurs de protéines, les ressources halieutiques mises à la disposition des consommateurs togolais sont surtout fumées. Ce qui s’explique par deux raisons notamment l’insuffisance des structures de conservation dans les zones de débarquement et le goût prononcé des togolais pour le poisson traité par fumage. Cependant l’activité de transformation des produits halieutiques, tenue généralement par la gente féminine se déroule dans des conditions difficiles. Loin d’être des plus modernes, les méthodes et outils utilisés par les femmes pour la transformation des poissons sont archaïques. Ce qui rend le travail rude, pénible et risqué. L’activité se fait de façon artisanale, dans des conditions qui ne respectent aucune sécurité au niveau du travail et posant d’énormes problèmes environnementaux et de santé tant pour les femmes transformatrices que pour les consommateurs. A titre d’exemple, pour le fumage, les poissons sont en effet essentiellement traités, à l’aide de fours réalisés en matériaux disponibles sur place ou de récupération, et utilisant comme combustibles, le bois et la peau de noix de coco. Aussi les fours sont-ils installés sous des hangars généralement mal aérés, exposant les femmes aux effets combinés de la chaleur et du soleil, aggravés par le contact et l’inhalation de la fumée qui ne semblent nullement les contrarier.
Poissons au Four
« Ce n’est pas facile d’être tous les jours confinées dans la chaleur mais nous sommes habituées. Il nous arrive même parfois d’avoir des difficultés respiratoires. Pour traiter une quantité importante de poissons avec nos fours traditionnels, c’est la croix et la bannière. Notre travail est ardu. C’est un métier qui nécessite beaucoup d’énergie et de courage », affirme « Mama », fumeuse de poissons, depuis 30 ans. A 60 ans, la vielle femme est toujours hyper active. Assistée par sa fille ainée et ses deux employés, elle fume diverses sortes de poissons anchois, thons, maquereaux… Elle décrit son activité en trois étapes : « il faut d’abord se lever très tôt le matin, se rendre au Port de Pêche pour s’approvisionner des poissons frais, revenir à Katanga les transformer et ensuite aller aux marchés les revendre. Même si certains clients viennent s’approvisionnent sur place, les produits finis sont essentiellement acheminés vers les marchés de Lomé et environs, principalement le marché de Kodomé où la règle est particulièrement la vente en gros », détaille la sexagénaire, rencontrée devant son vieux four noirci, recouvert de cendres.
De spirales de fumée, chargées d’odeur âcre de poisson grillé, s’élevant dans le ciel permettent une localisation précise d’un autre fumoir. La cheffe d’orchestre, c’est « Kafui ». Jeune et très assidue, « Kafui » range délicatement les poissons déjà prêts dans un panier. Tellement occupée, elle nous parle de façon discontinue. « Notre activité est noble mais ce n’est pas du tout tâche aisée », reconnait-t-elle, dans un premier temps. Elle rebondit quelques minutes plus tard en parlant exactement du processus de fumage de poissons : « Après avoir acheté les poissons, nous les trions et les lavons. Les poissons sont ensuite étalés sur des grillages, laissés au soleil quelque temps. L’étape suivante, les grillages sont superposés sur le four au feu, puis on fait tourner fréquemment, jusqu’à ce que les poissons ne soient totalement fumer ».
Cette dernière a aussi évoqué les difficultés rencontrées au quotidien entre autre, le transport des matières premières du lieu de débarquement (Port de pêche) vers le lieu de travail. « Aidés par nos filles ou parentes, nous faisons des allers et retours et plusieurs voyages avant l’épuisement des poissons frais achetés. C’est éprouvant physiquement », regrette-t-elle. Avant de poursuivre que « parfois les convoyeurs attitrés ou les taxis motos sont payés pour le transport des produits mais la moto n’étant pas adaptée pour ce type de transport, il y a parfois des accidents, et par conséquent des dégâts ».
D’une femme à l’autre, les obstacles sont les mêmes. Toutefois, l’activité en vaut la peine. La survie de nombreuses familles à Katanga repose sur le travail de ces femmes qui emploient habituellement des manœuvres, payés à la tâche, pour les opérations telles que le transport du bois vers le lieu de fumage, le nettoyage du poisson, la disposition du poisson sur le four, le rangement du poisson, le transport vers le lieu de ramassage pour la vente … Dans les foyers, la contribution des femmes transformatrice de poissons est aussi énorme. Elles assurent considérablement les dépenses familiales. « C’est grâce à mon travail que je nourris ma famille. J’ai perdu mon mari, il y a 10 ans », relate toute attendrie, « Kokoé » une veuve. Pour sa part, sa voisine « Tchotcho » confie : « C’est depuis 1988, que je suis transformatrice de poissons, et je gagne ma vie. Avec mes revenus, j’aide mon mari à s’occuper des enfants. Dans mon foyer, je me charge de tout ce qui concerne les vivres. Notre activité est rentable ».
Ces femmes qui pour la plupart ne se sont pas prononcées sur leurs gains réels, assurent qu’elles participent aussi pleinement au frais de santé et scolaires de leurs enfants. Certaines d’entre elles ont même pu envoyer leurs enfants étudiés à l’étranger, comme « Akofa ». « Mon fils ainé vit actuellement en Europe. J’ai tout fait pour qu’il ne devienne pas délinquant comme beaucoup de jeunes ici. Par mes propres moyens, j’ai assuré son éducation et aujourd’hui il est parti continuer ses études en France », assure-t-elle, joyeuse.
Au-delà du cercle familial, elles impactent leur communauté
Parallèlement à leur laborieux rôle de mère et d’épouse, ces femmes qui entreprennent dans la transformation des produits halieutiques ne sont pas indifférentes aux maux qui minent leur communauté. Comment vivre dignement dans un milieu oublié et délaissé? Tel est l’une des principales d’une association créée par les femmes transformatrices de poissons de Katanga. Jeanne Amematsro fait partie de celles qui sont au-devant de l’initiative. Nous l’avons rencontrée. « Depuis qu’on s’est installé à Katanga dans les années 80, nous sommes préoccupées par nos conditions de vie et de travail. Nous avons alors décidé de mettre en place une association. Nos aspirations sont simples : réorganiser notre secteur d’activité, défendre nos droits et intérêts, promouvoir le leadership féminin dans le secteur de la pêche et préoccupations participer au développement de notre communauté », explique Jeanne Amematsro. Selon cette dernière, l’association dénommée Femmes Transformatrices de Poisson (FETRACO) regroupait à l’époque environ 500 femmes. Dans un souci d’efficacité organisationnelle, elle s’est scindée plus tard en 16 groupements qui sont devenus actuellement deux unions (Union Coopérative Dynamiques des Femmes Transformatrice de Poissons et Union Coopérative des Femmes Transformatrice de Poissons).
Réunies autour des objectifs communs, ces femmes impactent véritablement leur communauté. Elles ont entre autres, contribué à la création d’une école primaire à Katanga et du centre de santé. « Etant en majorité des analphabètes, nous ne voulons pas que nos enfants subissent le même sort. A l’aide des matériaux de fortune, nous avons mis sur pied une école et la formation est assurée par les rares personnes d’entre nous qui ont eu la chance de faire les cours primaires. Au début, on avait construit trois classes (CPI, CP2 et CE1). On apprenait à nos enfants l’alphabet, des récitations, chants et autres connaissances de base. Mais quand les enfants arrivaient au CE1, il devenait alors difficile de les enseigner par nous-même. C’est ainsi que nous avons recruté quelques deux enseignants pour nous appuyer. Dans la foulée, l’initiative a séduit une organisation non gouvernementale qui nous a aidées à reconstruire l’école, qui est maintenant prise en charge par l’Etat togolais », a raconté Amematsro jeanne.
La mise en place du centre de santé dans le milieu a subi le même processus. Comme l’école, les claies ont servi dans un premier temps à sa construction. Une organisation chrétienne viendra à la rescousse pour affiner l’œuvre. L’ONG en question a non seulement reconstruit le centre de santé mais aussi l’a doté de quelques matériels sanitaires et formé des enfants du milieu pour l’administration des premiers soins aux patients. Aujourd’hui, d’autres associations et des bonnes volontés viennent de temps à autres faire des dons de médicaments ou organiser des campagnes de dépistage du VIH SIDA dans la localité.
« Par ailleurs, notre association était soutenue par une organisation qui entre temps, a aidé certaines jeunes filles de Katanga à apprendre des métiers, octroyé des enveloppes financières à d’autres pour exercer une activité génératrice de revenu afin de sortir de la pauvreté. Voilà tout ce que nous avons obtenu quand nous avons décidé de se mettre ensemble », se réjouit Amematsro jeanne.
Sur un autre plan, le regroupement des femmes, a contribué à l’amélioration de leurs conditions de travail. Très organisées, elles initient souvent des activités pour faire parler d’elles. Résultat ? De plus en plus d’acteurs notamment l’Etat et les partenaires en développement s’intéressent à elles et appuient un tant soit peu ces femmes, même si beaucoup reste à faire. Il s’agit généralement des appuis en formations portant sur le respect des exigences en matière de sécurité alimentaire et sur les bonnes pratiques pour une activité rentable et pérenne. Quelques rares fois, elles bénéficient des dons de matériels de travail. La construction d’un four amélioré de charbon de bois à katanga, en est une preuve. Fort malheureusement, ce four n’est pas prisé par les femmes, compte tenu du coût de production qui « leur revient cher ».
Aussi est-il important de souligner que l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a, il y a quelques années, soutenu ces femmes dans leurs activités avec un don de 27 millions de FCFA. Une somme qu’elles ont su intelligemment déposé dans une institution de micro finance de la place, en guise de caution, ce qui leur permet de faire régulièrement des prêts, auprès de l’institution.
Pour le reste, les femmes transformatrices de poissons de Katanga sont aujourd’hui impliquées dans un vaste projet de production de poissons en gestation. Ledit projet piloté par l’Etat togolais vise à faire face à la pénurie de poissons, un problème majeur de l’heure.
Les défis restent à relever en dépits de ces résultats palpables
Au nombre des défis, la construction des infrastructures sociales de base à Katanga (latrines, eaux potables, centre de loisirs…), la rénovation et le renforcement du centre de santé, la protection de la côte contre l’érosion côtière et surtout l’urgence de mettre en place un collège dans la localité. En effet, faute de collège à Katanga, les enfants sont obligés de traverser tous les jours, la route nationale Numéro2 pour aller étudier à l’autre côté, et chaque année, deux à trois enfants meurent par accident. Pour les femmes transformatrices de poissons, il est plus que pressent d’éviter ces drames de morts prématurées. Ainsi, ces femmes disent-elles attendre des autorités locales, pouvoirs publics, partenaires en développement et la société civile des soutiens qui leur permettraient d’une part de concrétiser ces projets. Et d’autres part, des soutiens qui contribueraient à améliorer leur travail et disposer de matériaux de qualités (Fours à gaz, grillages modernes, des moyens de transport notamment des tricycles et véhicules…).
L’accès au crédit faisant parties des difficultés majeures rencontrées par ces femmes, elles saisissent l’occasion pour lancer un appel aux banques pour plus de souplesse dans les documents et garanties exigées pour des prêts. Car ces exigences les exclus d’emblée du processus d’octroi de crédit.
Le moins qu’on puisse dire est que ces femmes transformatrices de poissons méritent valablement d’être soutenues. Elles participent aux revenus des ménages, impactent leur communauté, luttent contre le chômage, contribuent à l’économie du pays, fournissent de façon significative du poisson consommé localement et concourent à assurer la sécurité alimentaire nationale. Bref, elles luttent contre la pauvreté et pour le développement durable. Vivement que leurs conditions de vie et de travail soient améliorées !
Hélène DOUBIDJI