Les Violences Basées sur le Genre (VBG) font partie intégrante des problèmes qui ont sensiblement menacé la paix et la sécurité au Togo, eu égard au dernier rapport sécuritaire tri-annuel de WANEP-Togo, couvrant la période de 2020 à 2022. L’organisation non gouvernementale a indexé les VBG comme un réel phénomène qui gangrène la société et a attiré l’attention des acteurs et des décideurs sur ses ravages. En quoi les VGB constituent-elles un danger pour la paix et la sécurité ? Ekinamag s’est adressé à Mme NOVIEKOU Da-do Nora, la coordinatrice nationale de WANEP-Togo. Lire l’entretien en intégralité.
Veuillez-vous présenter à nos lecteurs !
Je suis Mme NOVIEKOU Da doh Nora, coordinatrice nationale de la branche togolaise du réseau Ouest Africain pour l’Education de la Paix, en anglais West Africa Network for Peacebuilding (WANEP). Je suis sociologue de formation et je suis à WANEP, cela fait déjà 15 ans.
WANEP Togo a rendu public un rapport sécuritaire tri-annuel, dans le cadre de son programme Alerte Précoce et Prévention des Conflits. Briefez-nous sur ce rapport !
C’est un rapport qui fait l’état des lieux des trois dernières années de la situation sécuritaire au Togo, c’est-à-dire les questions de paix essentiellement et de sécurité. Au niveau de la paix, c’est tout ce qui concerne les conflits communautaires comme par exemple les conflits fonciers, les conflits liés à la transhumance, les conflits liés à la chefferie entre autres. Ce rapport relève aussi des questions de conflits politiques. Et côté sécurité, nous avons abordé tout ce qui est criminalité, braquage, homicide, vol…Nous avons relevé également que sur les trois dernières années, il y a eu des cas de suicide répétés bref ce rapport veut attirer l’attention du citoyen sur le degré de stabilité et de paix en prévalence dans notre pays et voir comment renforcer les initiatives de paix et de cohésion sociale déjà mises en œuvre. Tout cela pour dire que nous avons fait du chemin, la paix est plus ou moins effective mais il faudra y travailler davantage.
Selon ledit rapport, parmi les problèmes qui ont ébranlé la paix et la sécurité au Togo de 2020 à 2022 figurent les Violences Basées sur le Genre (VBG). Les causes et les conséquences de ces VBG au Togo, parlez-nous-en !
Les violences basées sur le genre ont pris une bonne partie dans ce rapport. Les causes de ces violences que ce soient le viol, les violences domestiques ou encore les questions de grossesses précoces sont multiples. Par exemple pour le viol, cette situation est récurrente parce qu’il y a une forme d’impunité par rapport à ce crime. Souvent les familles préfèrent gérer à l’amiable ce genre de situation, on ne veut pas briser les liens au détriment de la victime qui, elle autre est affectée et brisée à jamais. On ne punit pas fréquemment, je reconnais là qu’il y a parfois la saisie des juridictions compétentes mais dans l’ensemble peu de cas sont dénoncés. La victime dans ce cas est profondément blessée, d’abord physiologiquement avec des organes génitaux présentant des séquelles et au niveau psychologique, elle est cassée, broyée à l’intérieur.
Et une personne qui psychologiquement n’est plus au point ne peut plus donner le même rendement, ne peut plus être active dans la société comme une personne totalement épanouie. Cela freine son épanouissement, brise sa joie de vivre et peut amener la victime à penser à des actes de suicide parce qu’être victime de viol met dans une posture de honte et de gêne.
Dans les violences basées sur le genre, on a aussi relevé la question des grossesses précoces. Il y a trop de grossesses précoces de nos jours dans les écoles dont les auteurs sont soient les enseignants, soient les élèves et souvent les victimes sont des mineures. La cause fondamentalement, c’est l’éducation. Il y a beaucoup de tabous autour du sexe, ce qui oblige les jeunes à aller chercher des réponses à leurs préoccupations sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux, des réponses qui ne sont toujours pas adaptées. L’enfant non édifié sur le sexe pense que ce qu’il y trouve est bon et ignore que la pratique sexuelle contient le risque de grossesse que l’utilisation des moyens contraceptifs peut empêcher, ce qu’ils ne connaissent pas souvent. Une enfant mineure enceinte constitue une double charge pour ses parents, elle et son enfant. Souvent leur organisme n’étant pas prêt pour accueillir un enfant, il y a des complications lors de l’accouchement.
En quoi ces violences basées sur le genre constituent-elles, une menace à la paix et à la sécurité ?
Si nous prenons la problématique du viol, il faut savoir qu’une société où le viol devient une banalité est une société à problème. Quand dans une société, les femmes se sentent menacées ou ne se sentent pas en sécurité, elles peinent à se rendre disponibles régulièrement. De l’autre côté, les victimes qui sont touchées psychologiquement ont tendance à se renfermer sur elles-mêmes à cause du choc.
Aussi la plupart des enfants issus de grossesses non désirées deviennent des enfants de rue. Les enfants qu’on voit souvent dans les orphelinats sont des enfants abandonnés, retrouvés dans les poubelles et autres et non des orphelins. La difficulté est que ces ressources humaines n’étant pas bien canalisées, la criminalité augmente. Aujourd’hui la question des enfants de rue est une problématique très sérieuse et c’est une cause d’insécurité.
Au nombre des VGB, il y a aussi des violences domestiques, les coups de poings par ici, les insultes par-là, et finalement c’est le divorce qui s’en suit. L’enfant, lui n’en est pour rien et subit les retombées. Soit il est avec l’un des parents, soit il reste avec un membre de la famille et à un certain âge, il commence par se chercher et le fait dans la rue. Là encore, cela pose un problème à la sécurité et à la paix. Les conséquences sont terribles sur la stabilité du pays. WANEP qui travaille en ce sens ne peut que attirer l’attention des différents acteurs sur la nécessité de ne pas négliger ces violences qui d’habitude sont tapies dans l’ombre mais font des dégâts. Il serait difficile de sortir des statistiques car les gens en parlent peu.
Avez-vous pu identifier ces zones de forte prévalence des VBG et qu’est ce qui justifie l’ampleur du phénomène ?
Dans toutes les régions du Togo, il y a des violences signalées. C’est en 2022, que nous avons eu les chiffres les plus élevés, certainement à cause du partenariat, noué avec GF2D pour avoir plus d’informations, vu qu’il est difficile pour les gens d’en parler.
En 2020 aussi, à cause du coronavirus et le confinement, les violences ont augmenté également, compte tenue de la présence continue à la maison car beaucoup de couples sont peu habitués à passer assez de temps ensemble. Le stress économique a joué énormément dans l’augmentation des tensions dans les familles. Nous comptons bientôt refaire un travail plus pointu dans les préfectures pour nous faire une idée de la situation. Mais le silence des victimes reste un grand frein dans l’appréciation globale. C’est très souvent caché et derrière les apparences normales se dissimulent des violences. Voilà un challenge à prendre en compte.
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Sur les 1667 incidents relevés au cours des trois ans sur la situation sécuritaire, 400 cas et plus sont des VBG, presque la moitié.
Que fait WANEP pour aboutir à la tolérance zéro ?
La tolérance zéro est un principe acquis dans notre lutte et un outil de travail pour nous parce que nos partenaires sont des partenaires du système des Nations Unies et dans la collaboration du système des Nations Unies, il est encouragé à ce que nous ayons une politique genre, une politique de lutte contre les abus et exploitations sexuelles. WANEP en dispose. Ce que nous faisons aussi, c’est de sensibiliser d’abord notre personnel et les organisations qui travaillent avec nous mais aussi nos fournisseurs, les clients avec lesquels nous travaillons, pour qu’eux étant impliqués dans nos activités veillent à ne pas commettre ces genres d’actes.
Au-delà de cela, nous avons toute une plateforme de femmes réparties dans les régions du Togo que nous appelons les femmes médiatrices communautaires. Ce sont des femmes que nous avons ciblé dans les régions, à la base, elles étaient des femmes civiles de 2014 en 2018 et à partir de 2019, nous avons ajouté des femmes policières et gendarmes réparties dans les différentes régions du Togo. Elles sont formées sur les questions de l’heure dont les questions des VBG. Ensuite, elles essaient de relayer les sensibilisations dans les communautés et ce sont elles parfois qui nous font remonter des cas et on les accompagne à les traiter. Nous avons également un partenariat avec la clinique d’expertise juridique et sociale qui s’appelle CEJUS depuis 2 ans déjà, pour que lorsqu’il y a des questions pointues d’ordre juridique, que ce cabinet prenne le relai pour accompagner les victimes puisque ce n’est pas notre champ premier.
Quelle est la place de la femme et de la fille dans le calendrier de WANEP TOGO ?
WANEP TOGO a une place de choix pour les femmes et les filles parce que notre objectif stratégique 2 c’est pour les femmes et les filles après le premier qui concerne l’alerte précoce et la prévention des conflits. A ce niveau, des programmes sont prévus. D’abord, le renforcement de capacité. Si nous voulons que les filles et les femmes se positionnent mieux, il faut d’abord protéger leurs droits et protéger leurs droits, voudrait qu’on fasse des plaidoyers pour attirer l’attention de l’autorité sur les besoins nécessaires. Ensuite, il faut penser à l’individu et ses capacités parce que les filles et les femmes doivent découvrir leurs potentialités et se rendre compte qu’elles sont aussi actrices non seulement de développement mais aussi de paix. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons mis notre plateforme en place dont font partie des femmes de Lomé à Cinkassé formées et outillées pour relayer les informations. Nous menons aussi des actions dans les écoles, dans les universités à l’endroit des filles mais aussi des garçons car il faut faire du sexe masculin, un vrai allié dans ce processus de promotion du leadership féminin.
Interview réalisée par Ida BADJO