Agoè Adjougba, ici se trouve l’atelier de coiffure d’Alice ABORAYILO. La jeune femme de 29 ans est spécialisée dans la coiffure homme, un métier longtemps réservé aux hommes. Contre les préjugés, Alice persévère dans la voie qu’elle s’est choisie, même si au début, ce n’était pas du tout facile pour elle, de faire face aux critiques de l’entourage qui trouve « bizarre » et « inconcevable », qu’une femme soit « barber ».
Nous avons passé une matinée dans son atelier. Son premier client du jour, Kossi est un habitué des lieux. Aussitôt qu’il rentre, la jeune femme l’accueille, l’installe confortablement et le couvre d’un tissu blanc. Avec beaucoup de fermeté et précision dans les gestes, Alice debout commence son travail, entre en action, passe la tondeuse pour traquer les cheveux et suivre les lignes de coupe. Au bout de quelques minutes, elle transforme le visage du client.
« Pour bien faire ce travail, il faut avoir le sens de l’imagination et de l’harmonie. Il faut aussi savoir diagnostiquer les cheveux afin de bien conseiller les clients dans le choix d’un style de coiffure », affirme-t-elle.
Tôt, Alice savait déjà qu’elle pouvait exercer ce travail qui lui plaisait depuis toujours. Quand elle a quitté les bancs de l’école, elle n’a donc pas refusé la proposition de sa mère qui l’a conseillée d’apprendre la coiffure homme. Elle relate : « j’ai eu mon BEPC, je devrais commencer le lycée quand je suis tombée enceinte et donc j’ai arrêté l’école. Et ma mère m’a proposée d’apprendre ce métier parce que moi-même cela me plaisait. J’ai commencé l’apprentissage en 2017 et en 2019, j’ai mis en place mon atelier.»
Déjà à 7 heures, Alice ouvre son barbershorp pour fermer autour de 20 heures. Le rythme de travail varie avec des périodes de rush comme la fin de journée, les week-ends et les moments de fêtes. En ce qui concerne les prix, chez Alice, les personnes âgées sont coiffées à 500 F CFA, les jeunes à 300 F CFA et les enfants à 250F CFA pour les coupes standards. Mais s’il faut faire un modèle de coiffure compliqué, le prix est spécifique et peut aller jusqu’à 2000 F.
Chaque jour, ce sont de nombreuses personnes qui visitent l’atelier d’Alice. Au nombre de ses clients figurent l’artiste de la chanson Dieudonné WILLA. La jeune femme très déterminée place la satisfaction du client au centre de son travail. En témoignent les propos de Cédric, client fidèle d’Alice : « elle est apparemment de nature calme et douce. Non seulement elle nous coiffe bien mais aussi elle fait preuve de patience, d’écoute et de calme vis-à-vis de la clientèle pour la satisfaire et la fidéliser ».
A l’instar de ces femmes qui embrassent des métiers traditionnellement masculins, Alice est souvent victime des comportements et actes sexistes dans l’exercice de sa profession. Parfois certains hommes hésitent à se faire coiffer par une femme. « Il y a des hommes qui viennent ici et demandent d’après le propriétaire des lieux. Quand je dis que c’est moi, ils sourient et me demandent si moi aussi je peux coiffer un homme. Mais généralement quand je finis le travail, ils s’étonnent agréablement et m’encouragent », raconte Alice.
Pour cette dernière, le plus dur reste le moment d’apprentissage où l’entourage et les voisins voulaient coûte que coûte lui faire changer d’avis. Selon elle, il y a même des gens qui venaient à la maison dire à ses parents de lui interdire ce travail. « Surtout que ma mère est un thérapeute et mon père un docteur, les gens pensaient qu’ils ne seraient pas d’accord avec mon choix alors que ce sont eux mes premiers soutiens. Ce qui m’a beaucoup aidé à tenir est que moi-même, je me dis que je dois aller jusqu’ au bout et que ce ne sont pas les propos des gens qui vont me faire reculer. Aujourd’hui, tous ceux qui me critiquaient, c’est moi qui coiffe leurs familles », se réjouit la jeune femme.
Aux jeunes filles qui souhaiteraient embrasser un domaine comme le sien mais hésitent, elle lance : « Prenez votre courage à deux mains et dites-vous que le travail que j’ai envie de faire, je vais le faire et aller très loin. Ignorez les personnes qui vont vous décourager. Demain, ce sont les mêmes personnes qui vont vous apprécier ».
Comme ambition, Alice rêve d’ouvrir un grand centre de formation, spécialisé dans la coiffure homme pour former les jeunes désireux d’apprendre ce métier.
L’implication de plus en plus de femmes dans ce métier, autrefois réservé aux hommes est signe de changement de mentalités. Toutefois, le chemin reste encore long, tant les stéréotypes sont ancrés dans les habitudes.
Ce portrait est le premier d’une nouvelle série de huit (8) portraits, lancée par le webmagazine EkinaMag, portant sur le thème « halte aux clichés, elles évoluent dans un domaine dit masculin ».
Hélène DOUBIDJI