Tout commence par une forte envie d’y arriver et de relever les défis. Mlle Tchade Hèzouwè l’a compris très tôt. Intrépide, obstinée, la petite fille qui accompagnait sa tante à l’infirmerie a enfin réalisé son rêve après bien moults et tumultes. Aujourd’hui, c’est une Docteure en Médecine qui consacre ses compétences au service des malades et qui a du charisme à apporter du secours au besoin. EkinaMag a déniché pour vous une jeune figure illustre.
Qui est Tchade Hèzouwè ?
Je suis une jeune chrétienne catholique, formatrice en secourisme et sauvetage du travail à UNASS/France-Togo et Docteure en Médecine. Je suis aussi membre secouriste de la Croix Rouge Togolaise, section universitaire et membre de l’Association Femme Famille et Développement Durable (A2F2D). Je suis aussi jeune championne en santé de reproduction et planification familiale.
Parlez-nous de votre parcours universitaire ?
J’ai eu un baccalauréat scientifique série D, puis j’ai continué en intégrant la Faculté des Sciences de la Santé de l’Université de Lomé, option Médecine.
Passionnée par les thématiques de santé publique, j’ai obtenu un diplôme universitaire, Méthodes et Pratique en épidémiologie en e-learning à l’Université de Bordeaux.
L’année dernière, vous avez soutenu avec brio votre thèse de doctorat en médecine portant sur le thème : « Prise en charge intra-hospitalière de l’arrêt cardio-respiratoire au CHU Sylvanus Olympio ». Partagez avec nous comment le choix de ce sujet a été fait et les étapes de préparation.
Le choix de ce sujet a été inspiré par mon expérience en tant qu’interne stagiaire au CHU SO, formatrice secouriste et aussi du fait du dévouement dont fait quotidiennement montre mon Directeur de thèse, le Professeur SAMA Hamza, chef du service d’Anesthésie Réanimation du CHU SO de Lomé.
Les cas d’Arrêt Cardio-Respiratoire (ACR) sont pléthores dans les services de réanimation et de soins intensifs mais force est de constater que la prise en charge n’est pas forcément efficace et ce pour diverses raisons.
Selon l’OMS, toute victime inconsciente avec une ventilation inefficace est considérée en Arrêt Cardio-Respiratoire (ACR). En Afrique, 15 000 décès par an sont enregistrés aux urgences. Par définition pragmatique, c’est une personne inconsciente, ne bougeant pas, ne répondant pas aux stimulations, ne respirant pas ou respirant de façon très anormale.
Notre étude a rapporté une mortalité par Arrêt Cardio-Respiratoire intra-hospitalier élevée en lien avec la gravité des cas admis dans notre système sanitaire.
Il est donc urgent d’équiper les structures sanitaires en matériels de réanimation en permanence maintenus, de former et de recycler régulièrement le personnel de santé sur les techniques de Réanimation Cardio-Pulmonaire Spécialisée, de sensibiliser la population et de la former en premiers secours à base communautaire.
En ce qui concerne les étapes de préparations de cette thèse, de façon succincte, je peux dire que la première étape était le choix du sujet avec mon directeur. Il a fallu avoir les autorisations administratives et éthiques, faire la collecte de données, les saisir et les analyser. Je me suis faite aider par un cabinet dont le cadre et l’encadrement ont été propices à un travail bien fait. Ensuite, j’ai rédigé le document de thèse sous les directives de mon directeur qui l’a corrigé à maintes reprises. Après relecture par d’autres ainés docteurs spécialistes et des amis profanes en la matière, j’ai pu enfin faire le dépôt à la Faculté des Sciences de la Santé qui m’avait donné la permission de soutenir.
Le 17 Mai 2023, devant mes distingués invités et le jury constitué des Pr AMEGBOR K., EKOUEVI K, PESSINABA S, SAMA H, j’ai défendu les résultats de mon travail à travers des diapositives. J’ai ainsi obtenu mon grade de Docteure en médecine avec une moyenne de 18,20/20.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans la réalisation de ce travail intellectuel ?
Comme le dit l’un de nos professeurs, soutenir une thèse ce n’est pas comme faire un exposé. C’est de longs mois d’haleine et de dur labeur, ce sont des rencontres avec son Directeur de thèse, souvent occupé. Il s’agit d’ un travail d’équipe multidisciplinaire où l’on évolue à la vitesse de tout un chacun. C’est aussi des moments de burn-out, de dépenses financières…
Quel sentiment vous a animé à l’annonce du résultat du jury surtout de la note obtenue ?
C’était un ouf de soulagement et un sentiment de gratitude à l’endroit de Dieu le tout puissant, de ma battante mère et de toutes ces merveilleuses personnes qui ont suscité en moi cette passion et qui ont œuvré à sa réalisation.
Cette note est le résultat d’un travail acharné. C’est le trophée qui récompense ceux et celles qui ont veillé et travaillé avec moi.
Quelles sont les compétences que vous avez développées pour surmonter les défis universitaires et finalement obtenir votre doctorat ?
La préparation, le travail bien fait, l’assiduité, le courage, la persévérance, le leadership et la foi. L’université c’est la jungle dit-on. J’ai plusieurs fois failli changer de cursus. J’ai été confrontée à des défis monstres, je me suis cassée la gueule comme on le dit souvent mais j’ai essayé encore et j’ai eu ma récompense. Il est permis de tomber mais jamais de rester sur place et ou par terre.
Comment le choix de la médecine a été fait après le baccalauréat ? Est-ce une décision personnelle ?
Petite, je tombais souvent malade. Ma tante infirmière d’Etat à l’époque m’emmenait souvent avec elle pour me traiter. J’en profitais pour jouer à l’aide-soignante et j’aimais voir le sourire et le soulagement qu’elle pouvait faire naître sur le visage des patients. Par la suite, ma tante est décédée. Je me suis alors promise de continuer ce qu’elle a commencé, d’aider et de soigner l’être humain.
Aussi, ayant grandi dans des conditions assez modestes et dans un pays sous-développé, j’ai une grande sensibilité à la cause humaine. Ce qui a, entre autres raisons motivé le choix de mon cursus scolaire pour pouvoir atteindre cet objectif de vie.
Quels conseils, pouvez-vous donner aux jeunes filles qui aspirent embrasser la médecine après leur baccalauréat ?
A ces futures collègues, je dis force et courage. Aucun rêve n’est trop grand et irréalisable tant que l’on accepte faire des sacrifices, que l’on est passionné et que l’on persévère jusqu’à sa réalisation. Toute étude universitaire est fastidieuse et challengeante, plus encore la médecine. Parce que, c’est l’humain qui est au cœur de toutes nos actions, la médecine est contraignante mais aussi intéressante, enrichissante et vitale. L’essentiel, c’est de regarder les résultats, la satisfaction d’avoir atteint l’un de ses objectifs de vie et la valeur ajoutée pour soi et pour ses pairs à long terme.
Vous démontrez un activisme sans faille pour le don de sang. Qu’est-ce qui vous motive à être constante dans cet engagement ?
Je dirai qu’en général, je suis très versée dans l’humanitaire, le social, d’où mon volontariat à la Croix-Rouge où nous menons des actions variées dont la collecte de poches de sang à travers le club 25 qui est une cellule de jeunes secouristes créée à cet effet.
Mais le leitmotiv à ma lutte dans ce sens, est le nombre de patients et patientes que je vois mourir à l’hôpital à cause de la pénurie de produits sanguins.
Vous êtes également activiste en santé de reproduction et planification familiale. Partagez avec nous vos impacts ?
En 2018, selon l’UNESCO, seuls 34% des jeunes ont des connaissances précises sur la prévention et la transmission du VIH et dans certains pays, les 2/3 des jeunes filles ignorent encore ce qu’il leur arrive à l’apparition de leur règle.
Les jeunes, aussi bien les filles comme garçons sont donc une couche vulnérable et les problématiques de SSR/PF (Santé Sexuelle et Reproductive / Planification Familiale) sont de majeurs problèmes de santé publique. Il est crucial de prioriser les droits et la santé reproductifs des adolescent-e-s et des jeunes dans les programmes de développement.
En tant que jeune championne SR/PF sur l’initiative (AmplifyPF), j’ai interagi sur des questions de bonnes pratiques en matière de santé sexuelle et de reproduction mais aussi de développement personnel, de leadership avec les jeunes scolaires comme extrascolaires à travers des sensibilisations de masse, de proximité, des conférences, des causeries éducatives, des journées portes ouvertes… A chaque séance, je parlais aux jeunes de leurs droits en Santé Sexuelle et Reproductive ; des moyens dont ils disposent pour un développement physique, social et psychologique sain ; des risques de rapports sexuels non protégés pour leur santé et leur avenir (grossesses non désirées, Infections Sexuellement Transmissibles) ; des moyens de protection et méthodes contraceptives.
Je distribue des dépliants renseignant sur les services de Planification Familiale et préservatifs aux jeunes puis je les réfère vers des centres de santé de référence qui sont affiliés au projet. Je m’assure régulièrement qu’ils y bénéficient d’un bon accueil, de conseils, et de dépistage d’infections sexuellement transmissibles.
L’année passée, j’ai eu à échanger en présentiel avec environ cinq cent vingt-deux personnes (60 % de filles, 40 % de garçons) et en ligne avec plus de 500 jeunes environ sur des sujets de santé sexuelle et reproductive. Par le biais de sensibilisations et de discussions éducatives avec des étudiants et des non-étudiants, j’ai distribué environs 5 000 préservatifs.
Mon binôme et moi, travaillons souvent avec les responsables de l’ONG Agopode (Agora pour les populations défavorisées) sur les thématiques de « IST/VIH SIDA (signes, prévention et Accès aux soins sanitaires pour le traitement). Ceci pour changer la situation des adolescent-e-s de la rue quant aux comportements sexuels à risque auxquels ils sont souvent exposés.
Une fois, après avoir animé une conférence dans un établissement, une jeune fille m’a écrit parce qu’elle soupçonnait être enceinte. Je l’ai aidé à faire un test de grossesse et à bénéficier d’un suivi dans un centre de santé. Depuis lors, les jeunes filles dudit établissement n’hésitent pas à prendre en compte mes conseils en matière de SSR/PF. J’ai aussi constaté qu’elles me prennent pour modèle.
Quelles sont vos perspectives dans votre domaine, la médecine ?
Puisqu’on ne finit jamais d’apprendre, je compte faire une spécialisation. Je mûris toujours la réflexion mais quel que soit mon choix, de concrètes actions communautaires nationales comme internationales devraient en résulter.
Si vous avez une baguette magique, que feriez-vous pour améliorer le quotidien des femmes ?
Badaboum !!! Je créerai un monde plus égalitaire, plus équitable et plus inclusif sur tous les plans non pas seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes qui les accompagnent dans tous les aspects de leur vie.
Je vais créer un grand centre de santé en accord avec les troisième et cinquième ODD et la politique gouvernementale de l’accès universel aux soins de santé à tous où le personnel n’est composé que de femmes, de la technicienne de surface au dirigeant le plus gradé ; un centre où la femme est prise en charge quasi-gratuitement sur le plan médical et plus précisément en matière de santé sexuelle et reproductive.
Interview réalisée par ASSAN Atha